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Anniversaires

  • David Collin « Vers les confins »

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    David Collin en 2018 à Bordeaux © CChambard

     

    « J’écris d’un pays lointain.

    Nos géographies intimes s’établissent d’après nos perceptions quotidiennes et selon des sensations imprévisibles. Des territoires naissent, d’autres disparaissent. Entre les deux : Épiphanies. Pour qu’elles surgissent, dans une succession d’instants fragiles qui illuminent le présent, rien de tel que la flânerie, se laisser surprendre par le minuscule, accepter la dérive, l’illusion du déjà-vu, les hasards qui n’en sont pas.

    L’épiphanie vient quand ne s’attend précisément à rien.

    Je marche vers les confins, j’arpente les routes de l’arrière-pays, d’un continent dont s’estompent peu à peu les rives. Perceptions et voyages dessinent des territoires parallèles.

    L’épiphanie se trouve aux confins de deux instants. Elle favorise la fiction, notre capacité à dire ce qui n’existe pas.

    L’épiphanie est une “apparition”, une “compréhension” particulière du monde, la pièce d’un puzzle dont on ne possédait a priori ni les fragments ni l’image d’origine. C’est peut-être un jeu, ou une étincelle qui éclaire le présent. Walter Benjamin parlait d’illuminations profanes, de main heureuse. Mais en définitive on ne tire aucune carte, on ne provoque rien, on laisse venir à soi le lointain ou le trop proche, ce que l’on ne connaît pas encore ; l’inattendu. »

     

    David Collin

    Vers les confins voyages, dérives, épiphanies

    Postface de Claude Chambard

    Hippocampe, 2018

     

    David Collin est né un 18 août (nous disions que nous étions jumeaux) en 1968. C'était un merveilleux lecteur, il savait à la radio suisse faire parler comme personne, il écrivait comme il voyageait avec élégance et c'était un chic camarade. Hélas, il est parti le 30 septembre 2020. Souhaitons lui un bon anniversaire où qu'il soit aujourd'hui.

  • Colette, « La Vagabonde »

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    Harlingue/Roger Viollet

     

    « Sous ma fenêtre, dans le jardin, un parterre oblong de violettes, que le soleil n’avait pas encore touchées, bleuissait dans la rosée, sous des mimosas d’un jaune de poussin. Il y avait aussi, contre le mur, des roses grimpantes qu’à leur couleur je devinais sans parfum, un peu soufrées, un peu vertes, de la même nuance indécise que le ciel pas encore bleu. Les mêmes roses, les mêmes violettes que l’an passé… Mais pourquoi n’ai-je pu hier, les saluer de ce sourire involontaire, reflet d’une inoffensive félicité mi-physique, ou s’exhale le silencieux bonheur des solitaires ?

    Je souffre. Je ne puis m’attacher à ce que je vois. Je me suspends, encore un instant, encore un instant, à la plus grande folie, à l’irrémédiable malheur du reste de mon existence. Accrochée et penchante comme l’arbre qui a grandi au-dessus du gouffre, et que son épanouissement incline vers sa perte, je résiste encore, et qui peut dire si je réussirai ?…

    Un petite image lorsque je m’apaise, lorsque je m’abandonne à mon court avenir, confiée toute à celui qui m’attend là-bas, une petite image photographique me rejette à mon tourment, à la sagesse. C’est un instantané, où Max joue au tennis avec une jeune fille. Cela ne veut rien dire : la jeune fille est une passante, une voisine venue pour goûter aux Salles-Neuves, il n’a pas pensé à elle en m’envoyant sa photographie. Mais, moi, je pense à elle, et j’y pensais déjà avant de l’avoir vue ! Je ne sais pas son nom, je vois à peine son visage, renversé sous le soleil noir, avec une grimace joyeuse où brille une ligne blanche de dents. Ah ! si je tenais mon amant, là, à mes pieds, entre mes mains, je lui dirais…

    Non, je ne lui dirais rien. Mais écrire, c’est si facile ! Écrire, écrire, lancer à travers des pages blanches l’écriture rapide, inégale, qu’il compare à mon visage mobile, surmené par l’excès d’expression. Écrire sincèrement, presque sincèrement ! J’en espère un soulagement, cette sorte de silence intérieur qui suit un cri, un aveu… »

     

    Colette

    La vagabonde, 1910

    Biblio, Le livre de poche, 2021

     

    Puisque Colette est morte un 3 août, celui de 1954.

     

  • W. G. Sebald, « Le crépuscule assombrissait… »

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    D.R

     

    « Le crépuscule assombrissait déjà à moitié la chambre. Mais dehors le soleil couchant était encore suspendu au-dessus de la mer, et la lumière étincelante qui en émanait baignait de ses ondes tout l’univers que je voyais de ma fenêtre et qui dans ce cadre n’était dénaturé ni par le tracé d’une route ni par la moindre habitation. Les monstrueuses formations géologiques des calanques, qui surgissaient des profondeurs à trois cents mètres, taillées dans le granit au cours de millions d’années par le vent, les embruns et la pluie, brillaient d’un rouge cuivré, comme si la pierre elle-même était en flammes, embrasée par un feu intérieur. Parfois je croyais reconnaître dans cette lumière vacillante les contours de plantes et d’animaux en feu, ou bien ceux d’un peuple entassé pour un grand bûcher. Même l’eau, tout en bas, semblait être en flammes.

    C’est seulement quand le soleil disparut derrière l’horizon que la surface de la mer s’éteignit, que le feu pâlit dans les rochers, redevint lilas et bleu, et que les ombres s’étendirent à partir de la côte. Il fallut un certain temps pour que mes yeux s’accoutument de nouveau à la douce pénombre et que je puisse voir le bateau qui s’était avancé au milieu de l’incendie et à présent mettait le cap sur le port de Porto, si lentement qu’on pouvait croire qu’il ne bougeait pas. C’était un grand yacht à cinq mâts, qui ne laissait pas la moindre trace sur l’eau immobile. Il était tout au bord de l’immobilité et pourtant il avançait aussi inéluctablement que la grande aiguille d’une horloge. Le bateau naviguait, pourrait-on dire, le long de la ligne qui sépare ce que nous pouvons percevoir de ce que personne n’a encore jamais vu.

    Très loin sur la mer la dernière lueur du jour s’écoulait ; vers l’intérieur des terres l’ombre devenait de plus en plus épaisse, jusqu’à ce que devant la ligne de crête noire du capo Senino et de la presqu’île de Scandola les lumières s’allument à bord du bateau blanc comme la neige. Je voyais avec mes jumelles la chaude lumière derrière les hublots, les lanternes sur les superstructures du pont, les guirlandes étincelantes tendues d’un mât à l’autre, mais à part cela, pas le moindre signe de vie. Le bateau resta peut-être une heure, brillant de lumière, immobile dans les ténèbres, comme si son capitaine attendait l’autorisation d’entrer dans le port caché derrière les calanques. Puis, alors que les étoiles apparaissaient déjà au-dessus des collines, il fit demi-tour et repartit aussi lentement qu’il était arrivé. »

    W. G. Sebald

    Extrait de « Les Alpes dans la mer », in Campo Santo

    Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau et Sybille Muller

    Actes Sud, 2009

    Max Sebald est né le 18 mai 1944.

    Bon anniversaire Max.

  • Emily Dickinson, « Je ne l’ai pas encore dit à mon jardin… »

    emily dickinson,je ne l'ai pas encore dit à mon jardin,claire malroux,car l'adieu,c'est la nuit,gallimard

     

    « Je ne l’ai pas encore dit à mon jardin –

    De peur d’y succomber.

    Je n’ai pas tout à fait la force à présent

    De l’apprendre à l’Abeille –

     

    Je ne le nommerai pas dans la rue

    Les boutiques me dévisageraient –

    Qu’un être si timide – si ignorant

    Ait l’aplomb de mourir.

     

    Les collines ne doivent pas le savoir –

    Où j’ai tant vagabondé –

    Ni révéler aux forêts aimantes

    Le jour où je m’en irai –

     

    Ni le balbutier à table –

    Ni sans réfléchir, au passage

    Suggérer que dans l’Énigme

    Quelqu’un en ce jour marchera – »

     

    Emily Dickinson

    Car l’adieu, c’est la nuit

    Choix, traduction et présentation de Claire Malroux

    Poésie / Gallimard, 2000

    Pour ce 15 mai 1886.

  • Pascal Quignard, « Kouan Yin… »

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  • « le matin, qui dans nos yeux »

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    Pour Grand-père, pour le 22 décembre 1971

     

     

    « Dit : le matin, qui dans nos yeux se fane pour devenir un midi qui tranche la journée en deux parts, est ce petit répit entre la nuit & le jour, entre tous les gestes obligés du quotidien. Il développe, à son insu sans doute, une infusion de sucs qui rafraîchissent les gorges longtemps fermées par le sommeil, une présence plus affutée, plus subtile, plus ample, réveillant une envie parfois de tout lâcher pour s’engloutir dans un vide qu’on imagine apaisant, d’ici, depuis notre berge instable. Oui, instable, dit-il, inquiet d’être instable, nous l’étions toujours, & moi en particulier. Je me demandais comment vivait le monde, lointain, inexploré, c’est-à-dire inconnu. Dans le livre de géographie à la couverture cartonnée, verte, il y avait des cartes du monde entier, par continents, pays par pays & de nombreux espaces blancs car personne n’en était revenu afin d’en dresser la carte. Ces îles mystérieuses au sein de l’océan du monde, étaient à la fois inquiétantes & donnaient envie d’aller y voir de plus près. Regarder, que dis-je, scruter les cartes de mon livre de géographie ­— j’avais bien demandé une mappemonde au Père Noël mais je ne l’ai jamais trouvée dans mes petits souliers —, était une de mes plus prenantes occupations. Je ne voyais plus le temps passer, penché sur ces espaces prodigieux & pourtant je n’avais nulle idée de voyager. Le plus lointain voyage que j’avais jamais fait, & c’était une expédition, était celui de Dijon, deux fois l’an, à la fin de l’été et au début du printemps, pour nous procurer, en famille, les grandes affaires que le petit bazar du village ne proposait pas, lui qui vendait disait-il pourtant de tout & surtout pas grand-chose. Ainsi, chaussures, vêtements, couvre chefs, maroquinerie, & le passage inévitable chez Mulot & Petitjean, place Bossuet, dans l’Hôtel Catin de Richemont, avec ses beaux colombages rouges, où nous nous procurions les grandioses pains d’épices au froment & aux goûts & parfums mystérieux & enivrants, les nonnettes les plus délicieuses qui soient — nulles autres, même celles de la Mère n’arrivaient à cette onctuosité, elles étaient bonnes mais c’était autre chose —, les glacés minces au si joli dos blanc, les gimblettes aux fruits confits, les croquets aux amandes, puis juste avant de reprendre la patache, Papa se précipitait chez L’Héritier-Guyot pour se fournir en crème de cassis, sans laquelle la vie aurait été bien sinistre, disait-il la moustache & l’œil humides.

    Oui, vois-tu, dit l’Aîné, voyager était un concept qui ne me traversait pas l’esprit. Je n’imaginais pas, alors, que pourtant j’en verrai des sacrément grands bouts du monde.

     

    Marcher le long de la rivière, grimper la colline, aller jusqu’au cimetière pour rendre visite aux ancêtres. Longer les vignes, les tailler avec infiniment de patience, faucher avec la fratrie & le Père, sous l’œil sévère de la mère, engranger le blé, l’avoine, les fourrages, cueillir aux saisons les fruits, ramasser ceux à terre, les ranger sans les taler dans les hottes & les paniers en osier, soigneusement empilés dans la carriole & les brouettes que nous tirions & poussions, du verger sur la route de Lux — celui où nous allons encore — jusqu’à la maison, se rendre en procession chez les cousins à Gemeaux où est la fontaine aux secrets, voilà ce qu’étaient les voyages que j’aimais & qui occuperaient, pensais-je, dit l’Aîné, toute une vie. »

     

    Claude Chambard

    Entrelesdeuxrivières

    Travail en cours, 2022

  • Claude Chambard, « le matin, qui dans nos yeux se fane… »

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     Pour Grand-père, pour le 22 décembre 1971

     

    « Dit : le matin, qui dans nos yeux se fane pour devenir un midi qui tranche la journée en deux parts, est ce petit répit entre la nuit & le jour, entre tous les gestes obligés du quotidien. Il développe, à son insu sans doute, une infusion de sucs qui rafraîchissent les gorges longtemps fermées par le sommeil, une présence plus affutée, plus subtile, plus ample, réveillant une envie parfois de tout lâcher pour s’engloutir dans un vide qu’on imagine apaisant, d’ici, depuis notre berge instable. Oui, instable, dit-il, inquiet d’être instable, nous l’étions toujours, & moi en particulier. Je me demandais comment vivait le monde, lointain, inexploré, c’est-à-dire inconnu. Dans le livre de géographie à la couverture cartonnée, verte, il y avait des cartes du monde entier, par continents, pays par pays & de nombreux espaces blancs car personne n’en était revenu afin d’en dresser la carte. Ces îles mystérieuses au sein de l’océan du monde, étaient à la fois inquiétantes & donnaient envie d’aller y voir de plus près. Regarder, que dis-je, scruter les cartes de mon livre de géographie ­— j’avais bien demandé une mappemonde au Père Noël mais je ne l’ai jamais trouvé dans mes petits souliers —, était une de mes plus prenantes occupations. Je ne voyais plus le temps passer, penché sur ces espaces prodigieux & pourtant je n’avais nulle idée de voyager. Le plus lointain voyage que j’avais jamais fait, & c’était une expédition, était celui de Dijon, deux fois l’an, à la fin de l’été et au début du printemps, pour nous procurer, en famille, les grandes affaires que le petit bazar du village ne proposait pas, lui qui vendait disait-il pourtant de tout & surtout pas grand-chose. Ainsi, chaussures, vêtements, couvre chefs, maroquinerie, & le passage inévitable chez Mulot & Petitjean, place Bossuet, dans l’Hôtel Catin de Richemont, avec ses beaux colombages rouges, où nous nous procurions les grandioses pains d’épices au froment & aux goûts & parfums mystérieux & enivrants, les nonnettes les plus délicieuses qui soient — nulles autres, même celles de la Mère n’arrivaient à cette onctuosité, elles étaient bonnes mais c’était autre chose —, les glacés minces au si joli dos blanc, les gimblettes aux fruits confits, les croquets aux amandes, puis juste avant de reprendre la patache, Papa se précipitait chez L’Héritier-Guyot pour se fournir en crème de cassis, sans laquelle la vie aurait été bien sinistre, disait-il la moustache & l’œil humides.

    Oui, vois-tu, dit l’Aîné, voyager était un concept qui ne me traversait pas l’esprit. Je n’imaginais pas, alors, que pourtant j’en verrai des sacrément grands bouts du monde. »

     

    Claude Chambard

    Entrelesdeuxrivières

    Travail en cours, 2021-2022

  • Sophie & Claude Chambard, le monde parle de cela

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    Sophie Chambard, le monde parle de cela, 2020

     

    Un matin, l’homme qui ne vécut que pour aimer ren­contre la folle d’amour, il lui chuchote : veux-tu partager mon année de printemps, en attendant que le vent se lève & nous porte vers les cinq éléments sur les cinq par­fums, c’est un classique des mutations possibles, il fau­drait graver l’amour dès son apparition sur les pierres de Xiping, que l’on extrait à Luoyang, cinq traités seraient écrits durant la vie, cinq petits traités dont il convien­drait de faire des classiques, des indispensables, nous pourrions, dès lors, de mutation en rites, en poèmes, atteindre le printemps, l’été & l’automne, puis peut-être passer l’hiver sans trop souffrir

     

    pour Sophie, pour aujourd’hui, 30 janvier, & pour après

  • Pierre de Ronsard, poème CXXXI des Amours de Cassandre

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    Tombe de Pierre de Ronsard au Prieuré de saint Cosme ©cchambard, 2016

     

     

    « Voici le bois, que ma sainte Angelette

    Sur le printemps anime de son chant.

    Voici les fleurs que son pied va marchant,

    Lors que pensive elle s’ébat seulette.

    Io voici la prée verdelette,

    Qui prend vigueur de sa main la touchant,

    Quand pas à pas pillarde va cherchant

    Le bel émail de l’herbe nouvelette.

    Ici chanter, là pleurer je la vis,

    Ici sourire, et là je fus ravi

    De ses beaux yeux par lesquels je dévie :

    Ici s’asseoir, là je la vis danser :

    Sur le métier d’un si vague penser

    Amour ourdit les trames de ma vie. »

     

    Pierre de Ronsard

    Les Amours, 1555 – 1578

     

    Pierre de Ronsard, né en septembre 1524 au château de la Possonnière (Couture-sur-Loir)

    est mort le 27 décembre 1585 au Prieuré de Saint-Cosme (La Riche)

  • Une vie de Maurice Romain C.

    maurice lucien chambard

    La fleur rouge, la fleur orangée, fleurs de saison dans le vase bleu entre les oreilles d’ours, près de l’envol des papillons dès que la chaleur est suffisante, tu sais, autour de la table bourguigno-marocaine, imaginée par l’homme à la casquette qui, chaque matin, allumait la forge comme il se rasait, sans vraiment y penser, deux guerres, la marine, les Dardanelles, le gaz moutarde, le rugby à XIII & le croquet, le football & l’opérette à la TSF, il pêchait le long du canal de Bourgogne, de l’Armençon, de l’Ignon & de la Tille, comme il n’aimait pas mentir, il s’efforçait de ne pas voir ce qui le peinait, ça prenait du temps car c’est pire que nettoyer les écuries d’Augias

     

    une vie de Maurice Romain C.

    24 février 1890 — 22 décembre 1971

     

    Claude Chambard, pour Grandpère, depuis 50 années

    inédit, extrait de Un matin, en cours

     

  • Un matin, un ami…

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    Pascal Quignard & Aline Piboule, église saint-Michel-de-Montaigne, 29 août 2020 © cchambard

     

    pour Pascal,

    ce 23 avril 2021

     

    Un matin, un ami, vers un ami le chemin n’est jamais long puisqu’il est simplement un morceau vivant de soi-même, l’ami on le voit chaque jour, dans les livres & dans les rêves, dans les yeux & dans l’oreille on l’entend depuis l’origine, c’est un ami depuis la plus petite enfance quels que soient nos âges nous nous connaissons toujours déjà, quelles que soient nos langues, quels que soient nos lieux – le lieu de l’amitié est un kraal, dans ce kraal dort l’ami, dans ce kraal l’ami écrit, dans ce kraal, qui est un pays sans langage, la nuit n’est jamais obstinément noire, c’est le lieu de la vie vivante où partager la vie secrète qui a la couleur & le parfum des mûres

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Michel de Montaigne, « De la solitude »

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    « C’est assez vescu pour aultruy ; vivons pour nous au moins ce bout de vie ; ramenons à nous et à nostre ayse nos pensees et nos intentions. Ce n’est pas une legiere partie que de faire seurement sa retraicte : elle nous empesche assez, sans y mesler d’aultres entreprinses. Puisque Dieu nous donne loisir de disposer de nostre deslogement, préparons nous y ; plions bagage, prenons de bonne heure congé de la compaignie ; despetrons nous de ces violentes prinses qui nous engagent ailleurs et esloignent de nous.

    Il fault desnouer ces obligations si fortes ; et meshuy* aymer cecy et cela, mais n’espouser rien que soy ; c’est à dire, le reste soit à nous, mais non pas ioinct et collé en façon qu’on ne le puisse despendre sans nous escorcher et arracher ensemble quelque piece du nostre. La plus grande chose du monde, c’est de sçavoir estre à soy. »

    * maintenant

    Michel de Montaigne

    Essais, livre I, chapitre XXXVIII

     

    Bon anniversaire Michel de Montaigne, 28 février 1533