Hélène Mohone (dimanche, 06 avril 2008)
« L’enfant a le sourire tendre des idiots. Elle ne sait rien de celle partie grandir loin, amoureuse d’elle-même, sans autre soin d’elle-même que le crin rugueux de la folie folle folle folle sans l’enfant resté figé.
Elle pourrait se laisser bercer par l’enfant devenu mère de cette autre grandie trop vie, fendue en deux comme une bûche. Elle la prendrait dans ses bras de petite fille et chanterait des berceuses tout au long du jour pour faire taire la maladie et aussi le chagrin d’être malade.
L’enfant, mère de l’autre jetée sur la route, sidérée, racines arrachées, le singe à l’intérieur qui vole tout ce qu’il est possible de prendre. L’enfant berce, berce ce qui manque, le début du corps, heureux enfantin, sur les pistes du Sénégal oriental où les parents et les frères et sœurs forment les ombres tutélaires du présent.
L’enfant n’en veut pas à l’autre triste insoumise à grandes dents voraces d’amour à se briser l’échine à rompre le pacte de vie.
Elle la câline poupée nounours pas peur bien soigner le corps le masser caresser lui dire chut pas d’os rongé du chagrin dors enfant dors petite fille alouette grise
L’enfant quitte le prénom d’Ishmaël. Elle peut commencer à nommer ce qu’elle avait oublié. Un autre prénom, bien à elle.
Et l’enfant, petite, attend que l’autre grandie trop vite vienne guérir en mettant ses pas dans les seins, enfin visibles dans la poussière sèche du Sénégal.
L’autre dit : « J’ai grandi vieille, tatouée par le servage. J’ai tenu la voile pliée par peur de déchirure, les cordages autour e mes poignets et la haute marée pour ne pas accoster ». Assise près de la fenêtre, dans une chambre d’hôpital, le bras caressé par un soleil d’avril trop chaud pour la saison, elle dit aussi : « Je ne sais pas qui je suis ».
Elle pense à ses frères et sœurs sur les photos, les vêtements légers, les nattes et les calebasses, ses parents, la nourriture, le sol durci par la sécheresse, les paysages rouges, les corps dansant à la récréation, le chemin de la mission, l’école et les religieuses, robes grises et grands voiles blancs, les images pieuses, les moustiquaires et le bébé chimpanzé, la biche naine, l’œuf de crocodile éclos sous le soleil, le venin du serpent les crapauds venus de loin escalader les escaliers de la véranda
Elle pense aux manteaux, à l’hiver, au corps étréci par le froid, aux rues grises, aux murs noircis par la fumée des voitures, les figures tristes, les chaises sur lesquelles il faut se tenir tranquille, le corps prisonnier en France, l’automne, l’absence, l’hiver, la vie à survivre, le rire, les baisers, l’amoureux, la maladie, l’opération, l’hôpital. Elle pense à elle enfant restée là-bas.
Elle dit enfin, comme une prière : « Mes animaux ». »
Elle pourrait se laisser bercer par l’enfant devenu mère de cette autre grandie trop vie, fendue en deux comme une bûche. Elle la prendrait dans ses bras de petite fille et chanterait des berceuses tout au long du jour pour faire taire la maladie et aussi le chagrin d’être malade.
L’enfant, mère de l’autre jetée sur la route, sidérée, racines arrachées, le singe à l’intérieur qui vole tout ce qu’il est possible de prendre. L’enfant berce, berce ce qui manque, le début du corps, heureux enfantin, sur les pistes du Sénégal oriental où les parents et les frères et sœurs forment les ombres tutélaires du présent.
L’enfant n’en veut pas à l’autre triste insoumise à grandes dents voraces d’amour à se briser l’échine à rompre le pacte de vie.
Elle la câline poupée nounours pas peur bien soigner le corps le masser caresser lui dire chut pas d’os rongé du chagrin dors enfant dors petite fille alouette grise
L’enfant quitte le prénom d’Ishmaël. Elle peut commencer à nommer ce qu’elle avait oublié. Un autre prénom, bien à elle.
Et l’enfant, petite, attend que l’autre grandie trop vite vienne guérir en mettant ses pas dans les seins, enfin visibles dans la poussière sèche du Sénégal.
L’autre dit : « J’ai grandi vieille, tatouée par le servage. J’ai tenu la voile pliée par peur de déchirure, les cordages autour e mes poignets et la haute marée pour ne pas accoster ». Assise près de la fenêtre, dans une chambre d’hôpital, le bras caressé par un soleil d’avril trop chaud pour la saison, elle dit aussi : « Je ne sais pas qui je suis ».
Elle pense à ses frères et sœurs sur les photos, les vêtements légers, les nattes et les calebasses, ses parents, la nourriture, le sol durci par la sécheresse, les paysages rouges, les corps dansant à la récréation, le chemin de la mission, l’école et les religieuses, robes grises et grands voiles blancs, les images pieuses, les moustiquaires et le bébé chimpanzé, la biche naine, l’œuf de crocodile éclos sous le soleil, le venin du serpent les crapauds venus de loin escalader les escaliers de la véranda
Elle pense aux manteaux, à l’hiver, au corps étréci par le froid, aux rues grises, aux murs noircis par la fumée des voitures, les figures tristes, les chaises sur lesquelles il faut se tenir tranquille, le corps prisonnier en France, l’automne, l’absence, l’hiver, la vie à survivre, le rire, les baisers, l’amoureux, la maladie, l’opération, l’hôpital. Elle pense à elle enfant restée là-bas.
Elle dit enfin, comme une prière : « Mes animaux ». »
Hélène Mohone
L’enfant africaine
L’Amourier, 2006
L’enfant africaine
L’Amourier, 2006
Nous accompagnerons demain lundi Hélène
en l'église Saint-Martin de Villenave-d'Ornon à 14h30.
Terres de femmes lui rend hommage aujourd'hui
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