(Carnet des morts), un travail en cours (mardi, 19 août 2008)
J’ai passé la nuit dans le lavoir abrité par le petit toit à deux pentes. Il a neigé longtemps. L’eau a gelé en partie laissant un cercle découvert au milieu. J’ai du givre sur les cheveux qui dépassent du sac de couchage & de la capuche.
J’ai pris sur moi & je suis entré dans le village pour boire un café serré au troquet juste après le pont. Il n’y a pas grand monde & c’est tant mieux. Le patron me regarde bizarrement, ça va de soi mais il fait du bon café avec un percolateur qui date de l’invention de la vapeur.
Je me remets en route vers 8h30, retraverse le pont, rejoint le lavoir où j’ai planqué mon petit barda, me l’accroche à l’épaule & sous un soleil d’hiver qui a bien de la peine à traverser les épais nuages de neige qui défilent, je reprends le chemin de halage.
Ça pourrait continuer comme ça longtemps mais ce n’est pas ainsi que les hommes vivent dans ce récit. La vérité n’est pas le propos. Mais cette pause-café a permis au narrateur de se réchauffer un peu. Les meilleurs comédiens ont besoin de repos & de chaleur.
Douze silhouettes avancent dans ma direction. Elles sont loin encore, au bord de l’Armançon. Douze silhouettes confuses. Pourquoi marcher au bord de la rivière ? Qui peut ralentir la marche & lui donner l’aisance des aveux ? Le sac pèse lourd, la bretelle scie l’épaule, c’est le poids des regrets. Les chevilles entravées par les chaînes de la culpabilité. Celle de ne pas être mort encore & de croire en la littérature.
Douze capuches dans le matin froid.
Douze.
Le clapot, les flaques, la boue.
Les traces de pas. Les pas.
Marches dans la boue, marches, marches, marches dans la boue
toi, marches dans la boue, marches, marches, marches.
Sud-est, nord-ouest, marches.
À l’ouest toujours.
C’est pourquoi le corps est toujours en avant,
toujours en avant,
ne sait pas mais en avant – peut-être pense en avant.
Enjambe la langue. Pas à pas.
Douze,
c’est un mirage, une bizarre marque sur la rétine.
Douze sont dans un paysage hors de l’histoire.
Douze rapprochés par les livres.
Ils n’étaient pas douze encore en cette année où je rencontrais le démon car je ne savais pas lire.
(travail en cours, extrait du chapitre VII)
09:34 | Lien permanent