Allée des Artistes (vendredi, 31 octobre 2008)
“Les tombes se lèvent au milieu des arbres. Colonnes brisées, monuments rococo, pyramides extravagantes, mausolées désuets, croix baroques, sculptures tarabiscotées, obélisques vaniteuses… Des portes ouvertes sont impossibles à refermer, des tombes éventrées laissent voir des cercueils pourris & des restes racornis. Des alignements de croix blanches marquent la place des homme tués en uniformes patriotiques lors des boucheries guerrières, de minuscules pierres indiquent les bébés errants dans les limbes, de simples gravillons blancs renflent la place des plus indigents.
J’erre plus que je cherche dans ce rectangle clos d’un mur de pierres locales. Parfois, je m’assois sur un banc et m’essuie lentement le visage avec un grand mouchoir blanc.
Le ciel est plat par-dessus les arbres.
Les bruits de la circulation arrivent jusqu’à moi comme filtrés, tamisés le plus finement possible, broyés par le temps qu’ils mettent à venir jusque là, en ce lieu où le recueillement est la règle & la componction l’attitude recommandée.
Des chats, de toutes les couleurs, se faufilent entre les tombes, trouvent refuge contre la méchanceté humaine près des restes, des dépouilles vides d’où toute velléité de faire le mal a disparu. Des myriades de vieilles, veuves ou non, viennent chaque jour les nourrir.
Je cherche l’allée des Artistes.
L’allée des Artistes, quel nom ! Qui donc avait bien pu avoir l’idée, somme toute prétentieuse, de donner à un passage entre des alignements de sépultures un tel nom ? Quel imbécile municipal ? Comme si les artistes allaient se faire enterrer là. Comme si les artistes prenaient la direction qu’on leur indiquait ! Les miteux, les ratés, les ridicules, les petits marquis si répandus dans ces villes bourgeoises, mais les artistes, non, sûrement pas. Quelle idiotie !
Néanmoins, je cherche l’allée des Artistes. C’est comme ça.
Mais là, je suis fatigué, je sue. Je maudis cette marche forcée dans la chaleur moite de cette ville indigeste. Je fixe un point invisible dans le gravier de l’allée, un point où rien ne peut encombrer ma pensée, où le vide peut se faire en moi.”
Extrait de Allée des Artistes, à paraître en 2009
La photo est de Magdi Senadji (in Senadji/Bovary, éditions Marval) à qui ce texte est dédié
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