Pierre Silvain, colporteur (samedi, 31 octobre 2009)
Pierre Silvain, né en 1927 au Maroc, vient de mourir. Il avait publié, en août dernier, Assise devant la mer. Son précédent livre, Julien Letrouvé colporteur, avait particulièrement été remarqué. Son œuvre importante, depuis La Part de l'ombre, chez Plon en 1960, est à lire sans aucun doute.
« Julien Letrouvé avait approché sa boîte, il en retira le couvercle doublé d’un drap fin couleur de sable, comme celui qui en tapissait le fond. Il dit résolument à M. Garnier que ceux des livres qu’il tenait à emporter étaient, sans qu’il y eût d’ordre de préférence dans son énumération, L’Histoire de Fortunatus, Mélusine, Complainte du Juif errant ainsi que Till l’Espiègle et La Princesse de Clérac, par Monseigneur de Dalbour. Il prendrait aussi La Farce de Maître Pathelin, La Jalousie du Barbouillé et la petite brochure où il y avait l’éloge funèbre du bedeau picard Michel Morin qui fut si grand carillonneur en son temps. Après une hésitation, il ajouta très vite qu’il avait choisi, enfin, La Forêt des merveilles. En énonçant ce dernier titre, il désigna un livre à l’écart, comme délaissé à un bout de la table. M. Garnier eut une expression de vif étonnement et finit par dire qu’il n’y avait pas d’ouvrage de ce nom parmi ses publications, non plus à sa connaissance que dans celles de ses confrères de cette ville ou d’ailleurs. Et parce que Julien Letrouvé protestait que c’étaient ceux qui faisaient la lecture aux veillées, dans les écreignes, qui le demandaient, M. Garnier répliqua que sans doute il ne l’avait pas bien compris, ce titre inconnu, à moins que pour son amusement il ne l’eût inventé de toutes pièces. Ce fut la seule fois qu’entre eux se dressait quelque chose qui chez l’un ressemblait à du défi, chez l’autre à du soupçon. Était-ce encore à cause de ce temps qui se chargeait des menaces du ciel et des hommes et ne tarderait pas à crever à grand fracas sur eux ? N’entendant pas disputer davantage en pure perte, ou sentant peut-être poindre un sombre pressentiment, M. Garnier prit le livre sur la table et le déposa avec les autres dans la boîte. Toutes les couvertures bleues sur le fond couleur de sable étaient comme un attardement des beaux jours. Julien Letrouvé replaça le couvercle. L’obscurité s’accrut dans la salle. Tandis qu’il lui donnait l’accolade, M. Garnier sentit des larmes couler le long de sa joue. Il lui ouvrit la porte et tristement murmura un adieu. »
Julien Letrouvé colporteur, Verdier, 2007
Deux liens : http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-silvain.html,sil...
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2008/04/pierre-silvain.html
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