William Carlos Williams, "Paterson" (lundi, 02 mai 2011)
« Le feu brûle; c’est la première loi.
Quand le vent l’attise, les flammes
s’étendent alentour. La parole
attise les flammes. Tout a été combiné
pour qu’écrire vous
consume, et non seulement de l’intérieur.
En soi, écrire n’est rien; se mettre
En condition d’écrire (c’est là
qu’on est possédé) c’est résoudre 90%
du problème : par la séduction
ou à la force des bras. L’écriture
devrait nous délivrer, nous
délivrer de ce qui, alors
que nous progressons, devient--un feu,
un feu destructeur. Car l’écriture
vous assaille aussi, et on doit
trouver le moyen de la neutraliser--si possible
à la racine. C’est pourquoi,
pour écrire, faut-il avant tout (à 90%)
vivre. Les gens y
veillent, non pas en réfléchissant mais
par une sous-réflexion (ils veulent
être aveugles pour mieux pouvoir
dire : Nous sommes fiers de vous!
Quel don extraordinaire! Comment trouvez-
vous le temps nécessaire, vous
qui êtes si occupé? Ça doit être
merveilleux d’avoir un tel passe-temps.
Mais vous avez toujours été un enfant
bizarre. Comment va votre mère?)
--La violence du cyclone, le feu,
le déluge de plomb et enfin
le prix--
Votre père était si gentil.
Je me souviens très bien de lui.
Ou : Crénom, Docteur, je suppose que c’est très bien
Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire?
[…]
(en respirant dans les livres)
les vapeurs âcres,
pour parvenir à déchiffrer
faussant le sens pour détecter la norme, pour
traverser le crâne de l’habitude
et atteindre un lieu d’où la tendresse
les femmes et les enfants sont exclus — une tendresse
pour ce qui brûle
[…]
Essoufflée, en toute hâte,
la multiple nuit (des livres) se lève! se lève
et entonne (une fois encore) sa chanson, en attendant le
déshonneur de l’aube
[…] Ça ne durera pas toujours,
aux abords de l’immense mer, l’immense, immense
mer, balayée par les vents, la “mer de vin sombre”
Un cyclotron, une criblure
Et là,
dans le silence du tabac : dans le tipi ils sont étendus
en tas (un tas de livres)
antagonistes,
et rêvent de
tendresse--ils ne peuvent pénétrer, ne peuvent
secouer la malice du silence (ça les forcerait à
bouger) mais ils demeurent--des livres
c’est-à-dire, hommes de l’enfer,
qu’ils règnent sur la vie qui s’achève.
On me demande d’être clair. Oh clair! Clair!
Quoi de plus clair, entre tout, que
rien n’est moins clair, entre un homme et
son écriture, que de savoir qui est l’homme et
quoi l’écriture, et lequel des deux a
le plus de valeur »
William Carlos Williams
Paterson
Traduit de l’américain par Yves di Manno
Flammarion, coll. Textes, 1981, rééd. José Corti, coll. Série américaine, 2005
Cet extrait est fidèle à l’édition originale française de 1981. La ponctuation particulière a été respectée. Les parties entre […] sont dans le livre narratives et interrompent régulièrement le poème. Il m’a semblé judicieux de donner ce poème sur l’écriture sans ces coupures. Il ne reste plus qu’à lire l’intégralité de cet immense livre.
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