François Dominique, "Solène" (jeudi, 13 octobre 2011)
« Si vous m’entendez, c’est que je serai morte depuis longtemps. »
Nous l’entendons Solène, mais je ne la crois pas morte pour autant. Elle vit, près de Lyon, sur les hauteurs, dans une grande maison, entourée d’un parc — étang, arbres & potager, bêtes… —, avec ses trois frères & ses parents. Elle vit, elle est vivante dans un temps indéterminé qui est peut-être celui qui suit une catastrophe ou plus simplement encore celui dans lequel nous nous débattons & qui est une catastrophe en soi. En tous cas dans le temps de la narration qui nous embarque dans le cerveau d’une petite fille qui entend peut-être ce que nous pensons. Nous lisons ses pensées sur la page, nous assistons à ses activités, ses rapports aux autres, à sa famille, au monde de l’autre côté des murs des Lisières, à ce qu’elle veut bien nous confier — à nous d’un temps qui serait postérieur au sien si nous l’en croyons — par la grâce de François Dominique qui écrit là un des livres les plus surprenants, les plus attachants, les plus déroutants, un petit événement dont on a peur qu’il passe inaperçu au milieu de l’agitation de cette rentrée éprouvante.
Le monde selon Solène, le périmètre dans lequel elle nous entraîne, est empli de végétation, de bêtes & d’inconnu(s) : les ombres létales, les Ravagés & les Blafards… ce n’est pas un monde tranquille. Pourtant, au cœur des Lisières, la famille survit, chacun s’occupe de ses affaires, de ses mystères. Le père médecin, la mère musicienne, les grands frères Nick & Rob, le plus jeune Ludo qui est très proche de la petite fille — ils dorment d’ailleurs dans la même chambre — forment une famille, mais une famille dans laquelle chacun à le sens de sa propre individualité & où chacun pour ainsi dire se méfie de l’autre.
Tout en haut, sous les combles, au sommet d’un escalier plaintif, il ya a cette chambre blanche énigmatique dans laquelle tout va se précipiter pour Solène, pour Ludo, & peut-être pour chacun. L’ombre gagne sur le blanc. Fallait-il entrer dans cette pièce, fallait-il risquer l’inconnu, le secret ? Fallait-il risquer le démantèlement de la phrase, la perte du langage, des mots, de la syntaxe, des jeux, des devinettes, des portraits chinois, pour un secret qui n’en est sans doute pas un… Fallait-il, en perdant l’innocence, laisser surgir la peur qu’elle avait si bien contenue jusque là ? Solène ne joue t’elle avec le feu, avec la vie, avec la narration qui les tient en vie, elle & les siens : « J’ai vu en rêve une horde de mots qui se perdaient dans l’air et revenaient en lambeaux… Je pense à ces millions de mots plus vite effacés que la poussière par le vent ; je pense à tous les mots qui me précèdent, à tous ceux qui me suivront. Je voudrais tellement les ramasser, en faire quelques bouquets avant que le silence n’avale tout et ne s’avale lui-même ».
Le chaos rôde, mais où est-il le plus fort, à l’entour des Lisières ou au cœur de chacun ?
Solène n’est pas une fable, c’est un roman terrible & doux comme un rêve d’enfant, plein des mots qui constituent un être, une petite fille, qui se heurte au monde dans lequel ses mots n’auront plus la même valeur, l’oublieront, la nieront sans doute, elle seule en sera garante jusqu’au bout, jusqu’à ne plus pouvoir les prononcer, jusqu’à créer son propre langage dans lequel vivre &/ou disparaître : « Cigales… abeilles… étoiles… fadosol… Sol… cig… ab… ét… cig… cig… cig… je… s’en va. »
Claude Chambard
François Dominique
Solène
14x22 ; 136 p. ; 14€50 isbn : 978.2.86432.654.0
Verdier, 2011, http://www.editions-verdier.fr/v3/index.php
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