Marc Le Gros, « Icaria & autres lieux » (dimanche, 29 septembre 2013)
« Dans la campagne d’Icaria les bruits de la nature règlent immuablement les commencements du jour. À cinq heures, à Armenistis, c’est le coq qui ouvre le feu, un coq solitaire et sans rival, l’unique spécimen du lieu sans doute car on ne connaît pas ici les répons interminables qui réveillent en fanfare les îles de Siphnos ou de Serifos, pour ne rien dire d’Amorgos où ses congénères ont colonisé toutes les collines, des hauteurs de Katapola jusqu’aux derniers moulins de la Chora.
Puis c’est le tour des ânes, déchirants, pathétiques, lugubres avec ce cri de Golgotha qu’ils semblent chaque fois lancer dans le désert. Leurs hoquets éperdus hésitent entre l’agonie respiratoire des noyés et ce sifflement rauque des pompes à eau mal graissées dont on devine qu’elles vont bientôt rendre l’âme. À six heures et demie très précises la première cigale précède de peu l’éveil de l’homme. Pétarade des tracteurs qui partent aux champs pour la journée. Ce sont des engins minces et verts, à trois roues avec un guidon et un moteur découvert qui luit comme une carapace. On dirait de gros criquets.
Des vieilles femmes, le visage recouvert d’un fichu blanc, sont assises dans les remorques. Chacune porte une gourde emmaillotée d’un tissu bleu nuit. Comme à Kalymnos ou à Astypalea au départ des autobus, elles se signent avant d’entreprendre le voyage. Alors seulement avec le soleil, le vide s’installe, et le grand silence du jour. »
Marc Le Gros
Icaria & autres lieux – carnets grecs
L’Escampette, 2013
Vingt-huitième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette
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