Edmond Jabès, « La clef de voûte » (lundi, 17 mars 2014)
« On dresse l’échafaud dans les jardins du bagne dans le jardin des tire-lires Fière jeune fille que le soleil éloigne
on dresse l’échafaud sur l’absence
Le couperet aux fines aiguilles à coudre la mort
le couperet aux franges de lune pour le sourire du bourreau
Siècle de pendus on dresse l’échafaud pour les retardataires
zébrés de langue-au-chat La vie n’a plus de secret
Seuls les yeux le regard seul attend interroge
On dresse l’échafaud sur l’épouvante de la foule
L’herbe demande à se faire entendre on la repousse
L’herbe sur qui le condamné à mort oublie qu’il va bientôt mourir
Le couperet de houpe d’oiseaux à tourmenter le vent
à poudrer les joues des jeunes épouses du vent
L’implacable couperet aux idylles de sapins de Justice
un monde déchu est suspendu à sa chute
un monde la langue dehors dont les pieds ne touchent plus le sol
et que le vent indifféremment balance
Je me souviens de tous les visages J’ai mis du temps à les reconnaître
aussi longtemps que le jour
On dresse l’échafaud sur l’impatience Le maître avec sa pierre-ponce
frotte les maigres doigts tâchés d’encre des écoliers humiliés
Tu lis je lis des mots d’innocence
que le couperet interrompt
On dresse l’échafaud sur chaque Dimanche
Une tête tombe dans le cahier ouvert
On dresse l’échafaud sur la mémoire du bourreau
sur la mémoire de la vie et de la mort
sur la détresse de l’amour
sur une tresse coupée
sur une coupe
sur un cou
brisé »
Edmond Jabès
La clef de voûte
Imprimé par Guy Lévis Mano en juin 1950. 20 exemplaires sur vélin du Marais et 380 sur vélin, numérotés de 1 à 20 et de 21 à 400. Ex : 306
GLM, 1950
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