Jacques Lèbre, « La mort lumineuse » (dimanche, 17 août 2014)
© : C.Chambard
Sensibilité des feuilles
« Ce sont peut-être les quelques voix humaines
issues des immeubles aux fenêtres ouvertes
— c’est une matinée de printemps, un jour férié —
qui font que parfois les feuilles bougent,
même sans vent, même sans aucune brise,
comme si elles étaient sensibles à un langage
ou du moins à son souffle, et qu’importe alors le sens
pour des oreilles vertes dont l’ouïe est si fine.
Je peux préciser qu’au moment même aucun drap
n’est secoué dans le silence, aucun couple de ramiers
ne copule sur une branche, ce qui pourrait prêter à confusion
si l’on peut aussi confondre les gémissements lointains
d’une femme au bord de la jouissance avec les roucoulements
de pigeons postés sur une corniche toute proche.
Pas de vent donc, dans cette matinée, pas de brise non plus,
mais dans une lumière que tamisent quelques nuages blancs
parfois, un instant, les feuilles bougent, frémissent.
Et si les voix que j’entends, me dis-je soudain,
provenaient d’une radio, ou bien d’une télévision ?
Alors, la sensibilité des feuilles serait tout autre
que celle que j’imaginais il y a juste un instant.
D’ailleurs, désœuvré, je m’accoude à la fenêtre,
une musique s’échappe de la source profonde d’un intérieur,
elle glisse comme une onde sur la paroi de l’air
et je vois que les feuilles bougent, frémissent. »
Jacques Lèbre
La mort lumineuse
L’Escampette, 2004
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