Pascal Quignard, « Sur l’idée d’une communauté de solitaires » (samedi, 14 mars 2015)
Pascal Quignard au capc, Ritournelles 2014 © cc
« Les “extraordinarii” désignaient au sens strict, à Rome, les hommes “tirés des rangs”.
Boutès est celui qui quitte le rang des rameurs.
Kafka est celui qui quitte le rang des assassins
La Fontaine, après avoir recopié et transposé un fabliau qui datait du xiie siècle, nota : “Aux derniers les bons”.
Le solitaire est une des plus belles incarnations qu’ait revêtue l’humanité, qui n’est elle-même rien par rapport aux paysages des cimes, des lacs, des neiges et des nuages qui surmontent les montagnes
[…]
Seul on lit, seul à seul, avec un autre qui n’est pas là.
Cet autre qui n’est pas là ne répond pas, et cependant il répond.
Il ne prend pas la parole, et cependant une voix silencieuse particulière, si singulière, s’élève entre les lignes qui couvrent les pages des livres sans qu’elle sonne.
Tous ceux qui lisent sont seuls dans le monde avec leur unique exemplaire. Ils forment la communauté mystérieuse des lecteurs.
C’est une compagnie de solitaires comme on le dit des sangliers dans l’ombre touffue des arbres. »
Pascal Quignard
Sur l’idée d’une communauté de solitaires
Arléa-Poche, 2015
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