Chantal Dupuy-Dunier, « Éphéméride » (lundi, 23 mars 2015)
« (18 mars)
Ce sont les matins qui importent,
la timidité rougissante des matins,
cet instant précis
où un rayon glisse un regard indiscret
à l’intérieur de notre chambre,
cet instant précis
où nous pouvons encore inspirer le jour.
(19 mars)
Le jardin s’impatiente.
À Encreux,
il est encore trop tôt
pour travailler la terre.
Toi aussi, tu t’impatientes.
Et les outils s’impatientent.
Tu coupes un arbre mort
pour dépenser ta sève.
(20 mars)
Cet hiver encore,
les murs bombés
ont accouché de pierres
qui gisent en travers des chemins,
mortes nées,
ridées par le gel.
(21 mars)
Gestes migratoires de l’homme.
Parfois un seul pas,
mais le lieu vers lequel
progresse le pas
transforme ce déplacement
en haut vol.
(22 mars)
Combien de temps durera l’aube ?
Combien
avant que ne s’esquisse
une déchirure dans le brouillard,
un partage entre ceux du radeau
qui ne soit pas celui de la viande et des crocs ?
Avant que les bouches soient décousues, les langues greffées ?
(23 mars)
Nous marchons
sur la mer friable des pierriers,
houle brisée.
Témoin transmis
par la main de la neige,
le soleil blanc
retrouvé ce midi
en même temps qu’un ballet d’élytres. »
Chantal Dupuy-Dunier
Éphéméride
Poésie/Flammarion, 2009
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