Pascal Quignard, « Les larmes » (mercredi, 12 octobre 2016)
photo du bandeau © Henry Pellequer
« Frère Lucius et l’image
(extrait)
Il est doux d’accrocher sur le mur de sa chambre l’image de celui qu’on aime.
Un jour qu’il était seul, dans le soir, alors qu’il attendait le retour de celui qu’il aimait, Frater Lucius prit un morceau de braise éteinte dans sa bassinoire et exécuta le portrait de son chat sur la muraille de sa cellule.
Il l’aimait tant que l’image était parfaite : c’était le petit chaton, assis sur les pattes arrière, sur le mur, qui le regardait avec ses beaux yeux noirs.
Avoir le portrait de son ami dans sa chambre – quand le chat aux beaux jours chassait dans la nuit devenue chaude, quand les chants des oiseaux résonnaient de toutes parts et l’attiraient, quand ils excitaient en lui le désir erratique et véloce de la chasse plus encore que la jouissance de dévorer, quand il quittait ses bras, sautait sur le carrelage, bondissait sur le bord de la fenêtre, s’envolait dans la pénombre – apaisait non pas son amour mais son attente. »
Pascal Quignard
Les larmes
Grasset, 2016
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