Frédérique Germanaud, « Courir à l’aube » (dimanche, 22 janvier 2017)
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« Ma table de travail est le cœur de ma prison. Autour, des appartements, d’autres vies, mal connues, mal comprises, autour garde son mystère, fait de vides et de pleins mal calés, qui choquent parfois, porte claquée, cri d’enfant, dégringolade dans l’escalier. Dehors, juste un bout de ciel. Au huitième étage, rien d’autre, plus d’arbres, de fils électriques qui relient les habitations et donnent de l’énergie, aucun chant d’oiseaux dans les matins humides. Il faut de l’imagination pour créer une place à tilleul avec son café ombragé. Poser ici ou là des jeux d’enfants. Un soleil de plomb sur des oliviers. Des orages malfaisants. Sur la table, du papier, un stylo, une vieille enveloppe à l’adresse presque effacée. Là naissent les obsessions. Là aussi le renoncement. Le manque de courage. La paresse de descendre l’escalier pour voir ce qui se passe hors de moi, ou de me jeter par la fenêtre pour vérifier la consistance du ciel. Tout est blanc à force d’être regardé.
Inventer pour que quelque chose s’écrive sur la page. Sinon, elle aussi reste blanche. Être enfermée n’est pas une épreuve. C’est sortir qui l’est, se confronter à une réalité intenable, où il est impossible d’oublier sa honte. Le monde est aussi vide qu’une école désaffectée. Propre et lisse. Plus vide encore d’avoir un jour accueilli des rires, des corps et des mouvements. La grande faille, invisible, si présente.
Quelqu’un ou quelque chose gratte au mur qui sépare mon appartement de celui d’à côté. J’ai dit que personne n’y réside, je ne sais pas. J’écris ce qui se passe près de moi sans savoir. Pourquoi pas un lieu ouvert au vent et peuplé d’animaux. Croire éclaircir le mystère en posant des mots sur la page et ne faire que l’épaissir. Je me lève pour coller l’oreiller à la cloison. Immanquablement, tout se tait et l’expérience se répète jusqu’à la nausée. Ce n’est pas grave. Poursuivre la vision par des mots est ce qui m’importe, prolonger les grattements qui ne sont peut-être qu’illusion auditive. Ne pas abandonner les signes infimes, ils sont traces d’humanité même s’ils n’existent que dans mes délires. De la fumée, un pli sur le drap. Je me demande si j’ai rêvé ce nous ou si nous l’avons vraiment vécu. »
Frédérique Germanaud
Courir à l’aube
La clé à molette, 2016
15:05 | Lien permanent | Tags : frédérique germanaud, courir à l'aube, la clé à molette
Commentaires
Lu ! Une très belle écriture dont on se souvient : j'ai immédiatement reconnu ces lignes.
Écrit par : GILLAIZEAU | lundi, 23 janvier 2017
sur ma liste des prochaines emplettes
ce sera mon quatrième FG
mélancolie & vertige en vue
Écrit par : lambert schlechter | lundi, 06 février 2017