Pierre Bergounioux, « Le Grand Sylvain » (lundi, 20 mars 2017)
Pierre Bergounioux dans La Capture de Geoffrey Lachassagne
« Il y a une dernière chose qu’on peut envier aux insectes, outre la cuirasse, les cœurs épars, la science innée, la stupeur : c’est la patience. Ils sont un siècle et demi à cheminer par monts et par vaux, perdus dans les forêts de l’herbe, la nuit, cherchant le passage, le tablier des ponts et on voudrait qu’ils soient là, dans l’instant, parce qu’on a cet instant et la prétention, avec ça, d’acquitter une créance qui court depuis le commencement. Le temps passe. L’instant s’achève et tout ce qu’on trouve, c’est de reprocher au gosse, au vrai, qu’on a traîné avec soi, d’être assis, bras ballants, sur une souche, à ne pas chercher. On lui en veut de ne pas déférer à l’injonction du gosse fictif que ses yeux ne sauraient déceler dans l’après-midi blême alors qu’il devrait être manifeste, aux nôtres, qu’il n’y est pas, pour lui, pas encore, puisqu’il est un gosse, un vrai. Si l’on était raisonnable, on se rendrait à l’évidence. On verrait. On accepterait. On se tairait. Au lieu de quoi on adresse des paroles amères à quelqu’un qui n’a rien fait. On veut le charger d’une part de la vieille dette qu’on a contractée. Finalement, c’est une querelle de gosses, même si l’un des deux n’est plus visible et c’est celui-ci, en vérité, qu’il faudrait chapitrer sur son acrimonie, sa mauvaise querelle, son incurable faiblesse. »
Pierre Bergounioux
Le Grand Sylvain
Verdier, 1993
Réédition avec le dvd La Capture de Geoffrey Lachassagne, La Huit/Verdier, 2017
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Commentaires
Toujours un très beau texte, Merci Claude de le rappeler à notre mémoire
Écrit par : Hordé Tristan | mardi, 21 mars 2017