Philippe Jaccottet, « Bois et blés » (dimanche, 13 août 2017)
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« L’ombre, le blé, le champ, et ce qu’il y a sous la terre. Je cherche le chemin du centre, où tout s’apaise et s’arrête. Je crois que ces choses qui me touchent en sont plus proches.
Une barque sombre, chargée d’une cargaison de blé. Que j’y monte, que je me mêle aux gerbes et qu’elle me fasse descendre l’obscur fleuve ! Grange qui bouge sur les eaux.
J’embarque sans mot dire ; je ne sais pas où nous glissons, tous feux éteints. Je n’ai plus besoin du livre : l’eau conduit.
À la dérive.
Or, rien ne s’éloigne, rien ne voyage. C’est une étendue qui chauffe et qui éclaire encore après que la nuit est tombée. On a envie de tendre les mains au-dessus du champ pour se chauffer.
(Une chaleur si intense qu’elle n’est plus rouge, qu’elle prend la couleur de la neige.)
On est dans le calme, dans le chaud. Devant l’âtre. Les arbres sont couverts de suie. Les huppes dorment. On tend au feu des mains déjà ridées, tachées. Les enfants, tout à coup, ne parlent plus.
C’est juste ce qu’il faut d’or pour attacher le jour à la nuit, cette ombre (ou ici cette lumière) qu’il faut que les choses portent l’une sur l’autre pour tenir toutes ensemble sans déchirure. C’est le travail de la terre endormie, une lampe qui ne sera pas éteinte avant que nous soyons passés. »
Philippe Jaccottet
Paysages avec figures absentes
Gallimard, 1970, revue et augmentée en 1976, rééd. Poésie/Gallimard, 2006
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