Tanikawa Shuntarô, « Le vert des herbes folles » (mercredi, 25 juillet 2018)
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« Quand je promène un œil distrait sur le vert des allées envahies d’herbes folles, je suis tenté de tout prendre à la légère
La vieille, têtue comme une mule, mourra un jour elle aussi
Ce que je pourrais faire pour elle ne pèse pas lourd dans la balance
On traîne dès la naissance le fardeau du karma, et personne n’y peut rien
Or, quand je me figure l’enfance de cette vieille,
quand je l’imagine, sous les coups de trique de la marâtre, qui va puiser de l’eau,
les poèmes que j’écris m’apparaissent comme de simples tentatives
Aux yeux de la vieille, tout ce que j’écris ne vaut pas plus qu’un maigre bol de riz
Ça ne l’empêche pas de me féliciter en caressant chacun de mes nouveaux recueils
Supposons (ce qui a peu de chances de se produire)
que je puisse décrire dans un poème l’état de cette vieille à bout de forces
Alors, il cesserait d’être un état pour devenir de la poésie
Rien de plus qu’un soupir poussé, de très loin, par un homme sans la moindre attache avec elle
Ce que je dis est bizarre, mais moi, toujours en quête
de poésie, je suis pareil à cette vieille
Si j’éprouve de la joie à lire des poèmes c’est uniquement
parce qu’ils me permettent de m’oublier
Quand je reviens à moi, je ne suis qu’un être vivant, un homme incorrigible
Si on doit tout prendre à la légère, autant aller se pendre pour en finir dit la vieille
Promenant un œil distrait sur le vert des herbes folles qui se fane à mesure que le soir tombe
je me sens basculer dans l’ivresse de la nuit sans pitié »
Tanikawa Shuntarô
L’Ignare
Traduit du japonais et préfacé par Dominique Palmé
Bilingue
Coll. D’une voix l’autre, Cheyne, 2014
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