Anton Tchékhov, « La steppe » (dimanche, 29 juillet 2018)
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« Quand nous regardons longuement le ciel immense, nos idées et notre âme se fondent dans la conscience de notre solitude. Nous nous sentons irréparablement seuls, et tout ce que nous tenions auparavant pour familier et cher s’éloigne indéfiniment et perd toute valeur. Les étoiles, qui nous regardent du haut du ciel depuis des milliers d’années, le ciel incompréhensible lui-même et la brume, indifférents à la brièveté de l’existence humaine, lorsqu’on reste en tête à tête avec eux et qu’on essaie d’en comprendre le sens, accablent l’âme de leur silence ; on se prend à songer à la solitude qui attend chacun de nous dans sa tombe, et la vie, nous apparaît dans son essence, désespérée, effrayante…
Iégor pensait à sa grand-mère qui reposait au cimetière à l’ombre des cerisiers ; il la revit, couchée dans son cercueil, une pièce de cuivre sur chaque œil ; il se rappela qu’ensuite on avait mis un couvercle sur la bière et qu’on l’avait descendue dans la tombe ; il se souvint aussi du bruit sec des mottes sur le couvercle… Il se représenta sa grand-mère dans son cercueil étroit et sombre, abandonnée de tous et sans secours. Il l’imagina s’éveillant soudain, et, ne comprenant pas où elle était, frappant contre le couvercle, appelant à l’aide et, finalement, accablée d’horreur, mourant une seconde fois. Il imagina, comme s’ils étaient morts, sa mère, le Père Christophe, la comtesse Dranitski, Salomon. Mais quelque effort qu’il fît pour se représenter lui-même dans une tombe obscure, loin de sa maison, abandonné, sans secours et mort, il n’y réussit pas ; il n’admettait pas pour lui-même la possibilité de mourir, il avait le sentiment qu’il ne mourrait jamais… »
Anton Tchékov
La Steppe, suivie de Salle 6 et L’Évêque
Traduction d’Édouard Parayre, revue par Lily Denis
Préface et dossier de Roger Grenier
Folio / Gallimard, 2003
20:08 | Lien permanent | Tags : anton tchékhov, la steppe, édouard paraye, lilt denis, roger grenier, gallimard
Commentaires
Plus l'échéance est proche, plus inéluctable est la certitude que la mort attend son heure.
Toutes les cruautés de la vie y conduisent mais toutes les beautés s'insurgent et demandent du temps encore...
Écrit par : Françoise Granger | lundi, 30 juillet 2018