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António Lobo Antunes, « Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau » (mercredi, 06 mars 2019)

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DR

 

« […] heureusement que mon père est décédé sans assister à la mort du village, il est là dans le cimetière sous la bonne garde de ma cousine qui n’oublie jamais de le saluer

– Mon oncle

quand elle nettoie le caveau même si elle discute plus avec ma mère bien sûr, je suis persuadé que bien que l’une à l’extérieur et l’autre à l’intérieur de l’acajou elles ne manquent pas de sujets de conversation, parmi lesquels moi par exemple

– Il va bien mon fils ?

alors que si c’est moi qui rentre là-dedans ma mère motus, de loin en loin, et c’est bien le bout du monde, elle agite dans son cercueil quelque souffles d’ossements, que lui reste-t-il d’autre la pauvre, des ossements et une robe que le temps a fanée très certainement, elle n’a même plus une balayette pour se balayer elle-même de notre mémoire, assise sur un banc dans le jardin occupée à coudre sous le néflier, bavardant avec nous sans lever les lunettes, c'étaient ses yeux qui passaient par-dessus, bien plus petits que derrière les verres, examinant mon ventre peinée

– Tu as grossi

car depuis que j’ai quitté le nid et sans votre amour vigilant pour réguler mon existence je suis entré dans une triste er irréversible spirale de déclin et de déchéance, ma femme ne réussit pas aussi bien mes plats préférés, elle ne me protège pas aussi efficacement des grippes avec des petites soupes au perroquet et il n’y a pas que la soupe, il y aussi la façon dont on la donne, elle c’est-à-dire la petite vieille ne comprend pas que le secret réside dans la façon dont on nous oblige à manger, mon fils qui a toujours été très sensible comprend lui, si on s’adresse à l’enfant qui est en lui on en fait ce qu’on veut, ma femme toujours attentive

– Amour

faisant un signe tandis que je lui désignais ma mère avec une grimace de

– La pauvre

et ma mère bondissant aussitôt de ses lunettes

– Je te parie ce que tu veux que cet idiot est en train de faire des grimaces pas vrai ma fille […] »

 

António Lobo Antunes

Jusqu’à ce que les pierres deviennent plus douces que l’eau

Traduit du portugais par Dominique Nédellec

Christian Bourgois, 2019

14:25 | Lien permanent | Tags : antónio lobo antunes, jusqu'à ce que les pierres deviennent plus douces que l'eau, dominique nédellec, christian bourgois