Ryoko Sekiguchi, « Nagori » (mercredi, 02 octobre 2019)
Ryoko Sekiguchi à la Petite Escalère, le 30 septembre 2019
© : Sophie Chambard
Le Nagori, c’est « la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter », « l’état de saisonnalité d’un aliment », c’est « avant tout la trace, la présence, l’atmosphère d’une chose passée, d’une chose qui n’est plus ». En français on pense à la laisse de mer et à l’image qui manque à nos jours. Par surcroît le cycle de la vie est absolument présent dans dans tous les sens du mot nagori. Dans ce mince livre, Ryoko Sekiguchi nous invite à penser – et c’est une délicate invitation – notre rapport au temps, aux autres, à, par exemple ne pas omettre de faire o-miokuri, cette politesse japonaise qui consiste, quand on raccompagne quelqu’un, à le suivre du regard jusqu’à ce que le contact ne puisse plus s’établir – et qui n’a pas de nom en français. Tout l’art de Ryoko Sekiguchi est de chercher quelque chose qui n’étant plus là, presque plus là, est déjà une autre chose que l’on regrette, que l’on cherche et qui va apparaître portant la saveur de ce qui est passé et celle de ce qui naît – subtilement différentes. C’est une méditation sur les langues et la culture, une façon douce de nous amener à regarder plus justement ce qui nous entoure, nous constitue — comme la dernière pêche contient déjà le goût de la première de l'an prochain et, en nous, fait le lien entre les états de notre corps. On pourra compléter la lecture avec ce très beau livre qu’est La Voix sombre paru en 2015, et celle du délicat Le nuage, dix façons de le préparer (avec Sugio Yamaguchi & Valentin Devos), sans oublier la réédition en poche P.O.L du Club des gourmets(avec Patrick Honoré), subtile promenade dans la littérature et la cuisine japonaises.
« Il existe trois termes différents pour décrire l’état de saisonnalité d’un aliment : hashiri, sakari et nagori. Ils désignent l’équivalent de “primeur”, de “pleine saison”, et le dernier, nagori, de l’arrière-saison, “la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter.”
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Le début d’une saison est toujours le nagori de la saison précédente, on n’est jamais tout à fait dans une seule saison, sauf en ce point d’acmé qu’est le sakari, qui ne dure d’un instant, comme le saut d’un athlète. Même dans l’instant de sakari, on pressent déjà le déclin qui arrive inéluctablement, et l’on peut s’en désoler, tout en percevant les restes de jeunesse qui ont poussé le produit jusqu’au sakari. Les saisons ne sont pas des parcelles bien définies. Elles sont souples et multiples. Elles respirent.
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Les saisons, c’est un sentiment, une émotion. Nous entretenons avec chacune d’elles une relation intime et personnelle. Sentir cet attachement, quel que soit le moment de la saison que l’on préfère, c’est peut-être cela “être de saison”, au sens de l’expression française. C’est être dans l’instant, être dans la vie.
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J’ai toujours écrit sur la mort, pour les morts.
Pour une fois, je voulais écrire un livre sur la vie. Ou sur la mort qui est la continuité de la vie. Sur les morts qui cohabitent avec la vie. Parce que c’est cela, les saisons. Les morts, ou les disparitions successives qui laissent la place à d’autres vies, mais qui un jour font retour.
Ces fleurs d’orangers, ces tomates et ces sauges, nous les humerons et nous les mangerons. Elles feront partie de nous-mêmes. Ou nous en ferons des conserves pour en préserver l’essence. Nous serons nostalgiques de leur départ avec la saison, mais nous les retrouverons, chaque année. Jusqu’au moment où ce sera notre tour d’ouvrir définitivement la dernière porte de la vie.
Peut-être est-ce pour cela que les saisons sont la plus belle chose qui existe dans le monde. »
Ryoko Sekiguchi
Nagori
P.O.L, 2019
http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-4661-6
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