Henri Cole, « Deux poèmes » (lundi, 30 mars 2020)
DR
« Anniversaire
Quand j’étais enfant, c’était pour moi une punition
que d’être enfermé dans une pièce. L’évident
désintérêt de Dieu touchant les affaires du monde
semblait impardonnable. Ce matin,
grimpant les cinq étages jusqu’à mon appartement,
je me rappelle la voix exaspérée de mon père,
mêlée d’angoisse et d’amour. Comme toujours,
la possibilité d’un foyer — au mieux d’un idéal —
reste illusoire, alors je lis Platon, pour qui l’amour
n’a pas subi de crevaison. Vautré sur le tapis,
tel un ver de compost, je comprends des choses
dont la connaissance empirique me manque.
La porte est fermée à clef, mais je suis libre.
Comme sur une carte obsolète, mes frontières bougent.
Au loin
Si je ferme les yeux, je te revois devant moi
comme la lumière attire à elle la lumière. Debout
dans le lac, je crée avec mes bras un tourbillon,
laissant la force du repentir m’entraîner en son centre
au point de ne plus pouvoir me raccrocher à mes perceptions
ou à la conscience du moi, tels ces nuages de poussière
et d’hydrogène tout excités de former de nouveaux astres
pour éclairer l’arrière-cour. Si poignant est le cri du vide
pour être comblé.
Mais, écrivant ces lignes, ma main est chaude.
Le personnage que j’appelle Moi n’est plus lourd, lascif,
mélancolique. C’est comme si les émotions n’avaient plus de chair.
Éros ne déchire pas les ténèbres. C’est comme si j’étais
redevenu un enfant observant la venue au monde de deux agneaux.
Le monde vient juste de naître à la vie. »
Henri Cole
Le merle et le loup, suivi de Toucher
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire Malroux
Bilingue
Le bruit du temps, 2015
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