Emmanuel Hocquard, « Élégie 5 – IV » (samedi, 11 avril 2020)
© : Claude Royet-Journoud
« Pour toute chose, nous eûmes les mêmes yeux :
le jardin d’autrefois et celui d’aujourd’hui,
le jardin immobile.
Nous avançâmes au milieu de ce qui porte un nom
et que nous avions appris à nommer ;
Nous progressâmes dans les livres
au milieu de ce que nous apprenions,
L’arbre vivant et l’arbre mort au même titre,
songeant peut-être qu’une telle coïncidence
Ne durerait pas toujours car sa croissance serait sa mort
et la pensée du modèle sa fin.
Notre amour n’eut pas d’autres lieux
Qu’une succession de regards sur des lieux de fortune,
morceaux de choix ravis aux circonstances,
Une alternance de mémoire et d’oubli pour les choses connues
et puis l’indifférence aux choses sues.
Le temps de l’amour fut cette suspension du temps de tous les jours,
une brèche délibérée dans le temps des paroles.
Et là nous ressentîmes ce que d’autres à notre place
auraient également éprouvé,
Un contentement certain, quoique tempéré,
d’être parvenus là où nous étions parvenus
Et déjà pourtant le vague désir de nous en retourner,
Une telle coïncidence ne pouvant pas durer
puisque sa croissance serait sans fin. »
Emmanuel Hocquard
Les élégies
P.O.L, 1990
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