Claude Esteban, Trois pages de « L’insomnie, journal » (mardi, 26 mai 2020)
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« Corridors
Qu’on ne ferme pas la porte
durant la nuit.
Non, s’il vous plaît. Pas même
si le vent caille
en pierre fine,
en air irrespirable, en
poumon gris.
Non. Il se peut
qu’une tête s’approche,
le chignon d’une femme,
une virtualité.
Laissez-la venir. Qu’elle passe
et qu’elle se perde,
pauvre ombre sans corps
entre les murs
entre les flaques de sang
inodores.
Laissez la porte
ouverte à qui voudra
aller et venir
entre deux fêtes
sans lendemain.
27 déc. 86
Matin
Le jour qui n’a pas été
continue de revenir.
Il descend dans la rue
et déambule
entre les gilets neufs et les bouteilles,
léchant les vitrines,
dorant les statues.
Le jour qui n’a pas été
ne se défend pas. Il
n’a pas besoin de voir, il sait
tout.
Qui va vivre et qui
porte déjà
le signe de la mort à la boutonnière.
Le jour qui n’a pas été
ne me connaît pas
et il cogne à moi sur les trottoirs.
28 déc. 86
Ombre
Elle me dit : viens. J’avance
mais je ne la trouve pas.
Je trébuche dans mon sommeil
sur des milliers de mouettes,
sur des bateaux sans moteur, sur
des bicyclettes,
sur des rapports scellés auxquels je ne comprends rien.
Elle me dit : viens. Et je n’ai
plus de bras
ni d’yeux pour voir, ni nom
entier.
Elle me dit : viens. Mais l’insomnie
tire le rideau.
30 déc. 86 »
Claude Esteban
L’insomnie, journal
traduit de l’espagnol par Emmanuel Hocquard & Raquel Levy
Fourbis, 1991
Extrait du seul livre pour lequel la langue espagnole s’est imposée à Claude Esteban. Publié dans cette langue avec une traduction italienne de Jacqueline Risset sous le titre Diaro immovil par Scheiwiller à Milan en 1987. Claude Esteban ne voulut pas se traduire en français. Emmanuel & Raquel donnèrent cette version, remercions-les.
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