Claude Esteban, 5 pages de « Sur la dernière lande » (jeudi, 28 mai 2020)
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« Ce sera le soir, la même heure
du soir, les colombes
commenceront à se poser sur les branches,
quelqu’un dira, comme
l’herbe est haute, allons nous asseoir,
racontons-nous
pour passer le temps une histoire un peu folle,
celle d’un roi
qui croyait tout savoir et qui perdit
tout, quelqu’un
dira, c’en est fini des fables
tristes, oublions-les,
comme le soleil se couche lentement.
*
Tout sera fini, nous regarderons
un petit arbre rose
et les pétales tomberont sur nous
doucement, il y aura
du soleil et sans doute au loin la forme
vague d’un nuage
comme pour dire que les choses
ne pèsent plus et ce sera
comme si le malheur était une histoire
vieille,
si vieille que personne ne se souvient.
*
La nuit ne reviendra plus, on pourra
marcher, toi et moi,
loin des routes, chanter, dire merci
à chaque feuille, on était
si nus, si tremblants, qui nous reconnaîtra
dans nos vêtements de lumière
qui voudra dire, ceux-là
sont morts, ils avaient souffert trop longtemps
car nous serons debout
parmi tous ceux qui tombent, nous
qui n’avions plus rien, nous donnerons tout.
*
Ah la feuille, la feuille du saule
qui ne guérit pas, qui console
tu vas par les ombres grises,
le soleil n’est plus ton ami
si tu te perds à midi,
suis le chemin des chenilles
ah la feuille, la feuille du lierre
qui s’attache et qui persévère.
*
Et peut-être que tout était écrit dans le livre
mais le livre s’est perdu
ou quelqu’un l’a jeté dans les ronces
sans le lire
n’importe, ce qui fut écrit
demeure, même
obscur, un autre qui n’a pas vécu
tout cela
et sans connaître la langue du livre, comprendra
chaque mot
et quand il aura lu, quelque chose
de nous se lèvera
un souffle, une sorte de sourire entre les pierres. »
Claude Esteban
Sur la dernière lande
Fourbis, 1996
repris in Morceaux de ciel, presque rien, Gallimard, 2001
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