Armand Dupuy, « vingt août, huit heures cinquante-trois… » (dimanche, 07 juin 2020)
Premier Carnet des Inédits du Malentendu.
Tableau radiographique de Claire Combelles
vingt août, huit heures cinquante-trois, relisant les notes
de C.C., s’active mon sentiment de plongée dans le
T-Shirt bleu de la veille, tube odorant, cheminée grand
tirage, parfumant, fumant dans ma lecture, le texte et l’odeur
mêlés, traces végétales et vitesses des phrases dans le nez.
neuf heures vingt-huit, toujours la mort galope et me rattrape
dans l’odeur, bête traquée par toutes les extrémités (ses flancs
traqués, sa nuque, sa queue, sa truffe traquées, ses oreilles),
devenant l’équivalent d’une tâche aveugle ne cessant d'électriser,
même d’érotiser ma vue pénétrée par couleurs et moussures
lentes. vingt-et-un août, vingt heures onze, mon rapport
d’échelle maladif, l’escalade sensorielle, tension de désir
et de couleurs malmenées, déclinant, fanant, ma tête
ramifiant les obstacles, branchies putréfiées, cherchant
du secours dans mes rimailles visuelles, répétant le vert,
le bleu, patinant dans l’étendue jusque sur mon torse :
ciel et glacier floqués sur le T-Shirt. vingt-trois août,
huit heures, reprendre mon geste parlé, dictaphone
occasionnant la dépression légère dans l’habitacle,
générant ma phrase, main décousue, langagière,
et quatre pneus roulant, pétrissant de plus belle mon élan
de poisson réflexif, ma remontée puis mon retrait dans ce
que creuse la vitesse – l’air seul destinataire –, ne reste
qu’un flux, ce bruit de tristesse et d’ignorance mêlées.
vingt-cinq août, sept heures cinquante-et-une, nuit mauvaise
ramasse dans les épaules l’épuisette ou le tamis malmenés,
mes grilles de lecture aphasiques, tout se verse mal à travers
les yeux, ou me verse, sac de grisaille en moi, sa charge
de bélier mou, l’assaut quand je détourne les yeux, le sac
poubelle à mes pieds, masse fripée, close, cordon rouge,
continue le ciel et, relevant la tête, le ciel répète les plis
du sac à n’en plus savoir ce que continue l’étrange décor
de papier mâché. huit heures treize, on est debout dans
ses jambes avec, parfois, quelque chose encore plus debout
que soi – ou bien les yeux debout dans ce debout de soi,
non pas globes mais perches, flèches, ficelles ou sagaies
lancées. vingt-six août, neuf heures vingt-cinq, j’en appelle
à mes cavités, mes fosses, les grottes portatives qui marchent
en moi d'un pied creux, foulent mes viscères, mes patinoires
et muscles lisses, mon nez soudain lasso tournant sur
son café, sur les cheveux qu’elle détache d’une épaule,
les déposant sur l'autre, la bretelle de chemise de nuit,
fil intime ou longue patte de mouche tordue – l’accroc
dans son bronzage –, j’en appelle à ce qui n’est pas, sans
savoir d’où ni pourquoi j’appelle, je serre les dents, les ombres
se moquent et se resserrent autour de moi, d’un autour
intérieur, se recroquevillent.
Extrait de Selfie lent
à paraître, Faï fioc, 2020
17:32 | Lien permanent | Tags : armand dupuy, claire combelles, vingt août, huit heures cinquante-trois, selfie lent, faï fioc