Longtemps, j’ai cru qu’Hélène Mohone était née en Afrique.
Et si elle a vécue au Cameroun, au Sénégal, et bien l’état-civil, les hasards de la vie de son médecin de père l’ont fait naître à Bordeaux.
Plus tard elle s’est mise à écrire.
Cette écriture, ce travail d’écriture, s’est, bien sûr, nourri de l’enfance en Afrique, mais aussi de ses séjours en Roumanie et en Nouvelle-Calédonie.
Elle chante aussi – elle a même suivi aux conservatoires de Bordeaux, Saintes et Angoulème une formation de chant classique –, elle écrit pour le théâtre, elle fait des travaux plastiques épatants, et a suivi des cours aux Beaux-Arts. Elle a monté une association artistique « Reportage » qui proposait des expositions de peinture, des performances et des concerts, ainsi que des activités audiovisuelles. Bref, elle n’arrête pas.
Elle vient de terminer
De loin, un livre de poésie. Elle a écrit trois pièces de théâtre dont l’une,
Si près des champs, a été retenue dans le répertoire des Nouvelles Écritures théâtrales à Paris en 2001. Elle a publié dans de nombreuses revues : L’Insulaire, 2001, Le Fram, L’Arbre à paroles, Le Journal des poètes, Poésie première, Épistoles de montagne, Le Passant ordinaire. Elle a obtenu une bourse d’encouragement à l’écriture du CNL dans la section Poésie.
Elle écrit… l’écriture est une sacrée histoire avec laquelle on ne finit pas lorsque l’on s’y engage. Il ne fallait pas commencer. Si, il le fallait, écrivait Beckett. Oui. Il le fallait. Il le fallait cet engagement, cet entêtement, cette façon de ne pas baisser les yeux
Le Cœur cannibale Lorsqu’elle a publié
le Cœur cannibale – qui d’ailleurs a disparu de ma bibliothèque, si on pouvait me le rendre… d’avance merci – en 2003 à la William Blake and Co., lorsqu’elle a publiée
le Cœur cannibale donc, nous venions juste de nous croiser et ce livre m’a incité à l’approcher un peu plus.
Étrange premier livre d’une étrange jeune femme que ce
Cœur cannibale. Dans une langue rare, économe, chantante, proche de l'imprécation, scandée comme une danse des origines, c'est à la compréhension, à la connaissance, d’un monde très ancien et absolument nouveau, que nous invite Hélène Mohone, qui avait déjà publié un texte sombre et remarqué,
Corpus triste, dans le n° 42 du Passant ordinaire, avais-je alors écrit dans Lettres d’Aquitaine.
Bien plus, ce poème là inscrivait son auteur dans une tentative d’appeler le monde par son nom, le seul. D’épeler le monde et comment il nous contient, comment nous nous battons avec lui, comment nous le cajolons. Un livre qui ne parle pas à tort et à travers, mais, au contraire, resserre sa langue lentement autour de ce qui est essentiel en elle, en nous, ce qui nous fonde, nous empêche de disparaître.
L’Enfant africaine En 2006 paraît
L’Enfant africaine, sous-titré justement, je l’ai évoqué plus avant à propos du
Cœur cannibale,
Corpus Triste, ce second livre d’Hélène Mohone, embarque son lecteur dans un univers résolument personnel qui prend sa clef à la hauteur des chants qui ont bercé son enfance africaine. Livre douloureux, livre résolument ancré dans ce qui fonde l’être, dans la douceur et les effrois de vivre, de grandir, de vieillir, dans les difficultés de la maladie (la maladie de la mort), livre où l’enfant souriant « sera là jusqu’à disparition ». « Elle – nous dit, la narratrice –, a cédé à la maladie avec volupté pour sentir à nouveau la vie avant la mort, sentir la vie atteinte nommer l’instant de vie avant la disparition. » Et voici la charnière, le point nodal, le point de rupture aussi de ce mince livre : l’enfant petite et l’enfant trop vite grandie sont ici réunies, assemblées, séparées, disjointes, non pas par la narration mais par la vie même. La souffrance de l’une est dans les joies de l’autre, le monde n’y peut rien, on vit avec soi-même jusqu’au bout et ici, seuls les singes nous réveillent et on peut fourrer ses doigts dans les « bonnes mamelles un peu racornies, aux poils drus et longs » de la maman – parce que maman est partie et que papa tire les cheveux en les peignant. L’Enfant africaine est une longue histoire d’amour et d’abandon. L’exil, l’amour, la maladie y sont les révélateurs de racines perdues, pour qu’à la fin, l’espoir d’une réconciliation des corps et des âmes soit envisageable. Hélène Mohone publie là un livre salvateur et bénéfique dont on gardera longtemps à l’oreille le chant très beau modulé du plus primitif à l’étonnamment moderne. Une et multiple, l’enfant africaine d’Hélène Mohone déplie la mélopée des voix de sa souffrance.
C’est un grand livre, c’est un livre qui nous réunit avec l’enfant en nous, qui nous permet de vieillir tout seul, c’est un de ces livres que l’on oublie pas parce qu’on est tenté souvent d’y revenir.
Et c’est pour ça que j’aime Hélène Mohone et ce qu’elle écrit – ce qui est à mon sens la même chose – parce que j’y reviens toujours, parce que je recommence toujours et que, finalement, c’est recommencer qui est beau.
Bibliographie
L’Enfant africaine « corpus triste », L’Amourier, 2006
Le Cœur cannibale, William Blake and Co, 2003