Fernando Pessoa
« Je ne sais qui je suis, ni quelle âme est la mienne.
Quand je parle avec sincérité, je ne sais quelle est cette sincérité. Je suis diversement différent d’un moi dont je ne sais s’il existe.
J’éprouve des croyances que je n’ai pas. Je fais mes délices de désirs qui me répugnent. Ma perpétuelle attention à moi-même me signale perpétuellement des trahisons de mon âme envers un caractère que je ne possède peut-être pas, et qu’elle ne juge pas non plus être mien.
Je me sens multiple.
Je suis comme une pièce garnie de miroirs innombrables et fantastiques, déformant en reflets factices une réalité centrale unique, qui ne se trouve en aucun d’eux et se retrouve en tous.
Tel le panthéiste qui se sent astre, vague et fleur, je me sens être plusieurs. Je me sens vivre en moi des vies étrangères, incomplètement, comme si mon être participait de tous les hommes, mais incomplètement de chacun, et s’individualisait en une somme de non-moi, synthétisés en un moi purement pastiche. »
Fernando Pessoa, Un singulier regard
Traduit du portugais par Françoise Laye
Christian Bourgois, 2005, rééd. Coll. Titres n° 45, 2007
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Son nom est Personne