Walter Benjamin
« Cet homme ne marche plus. Il refuse de se déguiser pour le carnaval mis en scène par ses contemporains — il a même laissé à la maison le bonnet du docteur en sociologie — et se fraye sans ménagements un chemin à travers la masse, en soulevant ici et là le masque d’un individu particulièrement effronté.
[…]
Aussi notre auteur, comme de juste, reste-t-il pour finir un isolé. Un mécontent, pas un chef. Pas un fondateur : un trouble fête. Et si nous voulions nous le représenter tel qu’en lui-même, dans la solitude de son métier et de ses visées, nous verrions ceci : un chiffonnier au petit matin, rageur et légèrement pris de vin, qui soulève au bout de son bâton les débris des discours et les haillons de langage pour les charger en maugréant dans sa carriole, non sans de temps en temps faire sarcastiquement flotter au vent du matin l’un ou l’autre de ces oripeaux baptisées “humanité”, “intériorité”, “approfondissement”. Un chiffonnier, au petit matin — dans l’aube du jour de la révolution. »
Walter Benjamin
Un marginal sort de l’ombre (à propos des Employés de Siegfried Kracauer)
Traduit de l’allemand par Pierre Rusch
In Œuvres II, Folio Essais, 2000
Commentaires
Bonjour,
ce texte me touche beaucoup. Il me parle tant!
Mais si je laisse aujourd'hui ce commentaire, c'est parce qu'une coïncidence me trouble. Ce week-end, j'ai essayé d'écrire un texte à partir du colporteur de Jérôme Bosch. Et j'ai l'impression que Benjamin pourrait parler de lui, ou de quelqu'un s'approchant. Si vous voulez voir l'image et le texte...
http://julienboutonnier-peut-etre.blogspot.fr/2012/11/257-le-sourire-du-colporteur.html
En vous remerciant pour ces textes que vous nous faîtes partager.
Un lecteur en chemin
Julien Boutonnier