Gérard Haller, « L’ange nu »
« c’est comme un jeu. Voici. Le sexe au centre
exact de l’image, la trouant on dirait
ou l’ouvrant sur sa propre béance dessous,
intouchable, et tous les corps autour à toucher.
Nus oui : à même la toile nue de l’image
ici ensemble éclosant. Étoiles, étoiles
et fleurs oui. Elle debout nue au beau milieu
de la prairie comme ça et toutes les fleurs
autour et l’herbe innombrable et le lait
depuis toujours répandu de la lumière.
C’est pour toi elle dit. Et le rose aux joues
et les lèvres rouge sang. Regarde. La chair
à vif bleue jaune rouge du vieux masque peint
pour l’amour et la crinière violacée de Méduse,
regarde, les serpents oui, et le lit de neige
là-bas séchant au soleil et le ciel au-dessus
déclos noircissant déjà. C’est pour nous
elle dit ça serait pour nous maintenant
si tu veux
elle attend. On ne sait pas. Le geste, le mot
qui ferait tout recommencer
tu veux ?
elle demande. Répétant devant moi le geste
d’Émy là-bas pour me montrer. C’était l’été
je me souviens c’était dans le même pré déjà,
lumineux, le même nid dedans la lumière,
et elle s’est mise nue, c’est pour toi elle a dit
déjà et elle a penché la tête un peu aussi
comme ça et pris ma main je me souviens
mes doigts dans sa main et m’a fait toucher.
Tu veux ? Elle m’a montré. C’est là le trou
dedans intouchable qui fait venir tout
dehors. J’avais peur. C’était la première fois.
Elle riait. Regarde elle a dit c’est là le bord
pour nous du ciel
tout ce qu’il y a / c’est tout ce qu’il y a / là
et pas là / noir elle dit vide dessous sans
fin puis lumière et retour / vie et mort / corps oui
finis / passant seulement / suspendus ainsi
ensemble ici au bord du noir / c’est ça qui est
beau elle dit
ce cœur au bord
être là c’est tout / mains yeux lèvres et tout ça
se confiant comme ça tout l’amour
tu veux ? C’est maintenant si tu veux »
Gérard Haller
L’ange nu
Édition Solitude, 2012
Cette page est dédiée à Sophie pour son anniversaire.
Merci à Isabelle pour la photo de Gérard.
La peinture est de František Kupka, La petite fille au ballon, 1908,
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne
Commentaires
magnifique ! vive Sophie, Vive Kupka !