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Eduardo Berti, « La Vie impossible »

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Le Don

 

« Tout comme Funes peint par Borges, ma mère avait le don de savoir l’heure sans avoir besoin de consulter une montre. Elle vécut durant presque vingt ans dans l’ignorance de cette faculté, jusqu’au jour où quelqu’un, une voisine à ce que je crois, la lui fit remarquer. Dès lors, ma mère ne porta plus jamais de montre à son poignet.

Quand j’étais enfant, l’exactitude avec laquelle elle pouvait dire l’heure me stupéfiait. Pourtant, ce don la troublait tant qu’elle m’avait interdit de la divulguer au-delà du cercle familial. Je devais avoir quatorze ans quand mes parents et moi fîmes un voyage au Luxembourg. Nous étions tous trois dans un café et j’eus l’idée de lui demander l’heure, ce à quoi elle me donna sans sourciller une heure incorrecte, une heure impossible pour ce moment de la journée. “Tu t’es trompée”, lui dis-je, étonné. C’était la première fois que je la voyais se tromper. Mais mon père signala qu’il n’y avait aucune erreur, que ma mère avait donné l’heure de Buenos Aires, car les dons sont liés, profondément, à l’endroit où on les a reçus. »

 

Eduardo Berti
La Vie impossible

 Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu

 Coll. Le Cabinet de lecture, dirigée par Alberto Manguel

 Actes Sud, 2003

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