En pensant à Michèle, David, Mathilde & Clément.
Notre ami Michel Chaillou est mort, mercredi 11 décembre, il avait eu 83 ans le 15 juin. Depuis je ne cesse de revenir à ses livres, ses livres qui m’accompagnent depuis des années et des années. Ses livres sans lesquels la vie aurait moins de saveur, sans lesquels la langue aurait moins de saveur. Car quelle langue que celle de Michel. Quel styliste, quel conteur. Je me souviens de notre première rencontre à Poitiers, en 1989, lors des journées « À quoi sert la littérature ? » en compagnie de Florence Delay, de Claude Margat, de Jean-Loup Trassard, de Jacques Roubaud, de Juan Benet — qui voulait se faire ouvrir les églises poitevines en pleine nuit et avec qui nous étions allés voir la maison où vivait Pierre-Jean Jouve étudiant avant de finir la nuit dans sa chambre d’hôtel à boire beaucoup trop — et de bien d’autres… Je l’ai invité avec Michèle de nombreuses fois en Aquitaine pour parler de lui, de son travail, de Montaigne — les lycéens silencieux suspendus à ses paroles, à son verbe inoubliable qui faisait tout passer avec une immense générosité —, de ses lectures… Nous avons pris des ascenseurs, nous sommes descendus dans des caves, dans des parkings souterrains, nous avons roulé la fenêtre fermée… lui qui était claustrophobe… nous étions bien ensemble, souvent il faisait croire que j’étais son jeune frère car nous avions tous deux les cheveux bouclés. Michèle à l’inoubliable regard souriait à toutes ses gamineries. C’était simple et heureux. Je devais écrire un livre sur la tauromachie pour sa collection chez Hatier « Brèves littératures », d’une richesse considérable, mais qui fut arrêtée trop tôt. J’ai publié son magnifique texte : Les livres aussi grandissent — à l’enseigne de À la campagne, éditeur discret — qu’il avait écrit pour le salon du livre de jeunesse de Montreuil, puis nous l’avons réédité au crl Aquitaine. Ils sont venus faire quelques étapes lors de l’écriture de La France fugitive, cette randonnée rêveuse dans des paysages avec Michèle, un couple d’amoureux (depuis 1966) dans la petite Twingo (un vrai personnage) — « À dire vrai, je n’ai jamais su partir. D’abord pour partir, il faut être là, or je suis tellement toujours ailleurs, distrait, préoccupé, filant ma laine. ». Alors ils sont revenus pour le plaisir de l’amitié. Ils ont déménagé d’un premier appartement pour s’installer au coin du boulevard du Montparnasse, c’était moins haut et plus vivant… David, le fils aimé, compositeur, vit à quelques encablures, les deux petits enfants sont tout près… Michel s’en est allé… il nous reste ses livres pour toujours et tant et tant de beaux souvenirs. Et sa voix dans les oreilles, sans fin.
Ses livres, de Jonathamour son premier en 1968 chez Gallimard à L’Hypothèse de l’ombre qui vient de paraître toujours chez Gallimard, en passant par ce qui est le plus singulier dans son œuvre Le Sentiment géographique, ou l’incroyable Domestique chez Montaigne, La Croyance des voleurs qui l’a sans doute fait repérer d’un plus vaste public avec son incipit inoubliable : « Chez nous on a une table, quatre chaises, plus l’éternité. », puis ce furent par exemple cet étonnant hommage à Pouchkine, La Rue du capitaine Olchanski : roman russe, Mémoire de Melle qui le vit reprendre le roman familial, La Vie privée du désert, Le Ciel touche à peine terre, Indigne indigo, Le Matamore ébouriffé qui lui ressemble tant, 1945, Le Dernier des Romains, La Fuite en Égypte et tant d’autres, car c’est une œuvre immense et abondante que Michel nous confie, à nous maintenant d’en prendre soin et de la faire passer.
On pourra relire aussi un petit article et un extrait du Dernier des Romains sur mon blog :