Edmond Jabès, « Trois filles de mon quartier »
« I
Trois filles de mon quartier ont abandonné leurs fiancés à la misère ; trois rires, trois étoiles capricieuses. On n’a plus de nouvelles du cœur de la terre. Trois filles de mon quartier ont changé de nom ; leurs fronts brûlent dans la nuit. Trois pompiers, trois scaphandriers, trois amants éperdus, cherchent leurs fiancées. Le poisson et l’oiseau s’en émeuvent, car l’amour est partout. Trois bœufs, trois cailloux, trois trous embarrassent la route. On frappe aux portes que l’on connaît.
VII
Le rire est une jeune femme écartelée sur les routes. La mort est plus adroite. Tu mets le feu au paysage arraché aux paupières : Notre lieu de rencontre. L’histoire est compromise. Quand le monde est rouge les dents ont un éclat particulier ; les tourterelles s’y risquent. Avec toi, tout est simple mais réfléchi. Un fil ténu rattache l’univers à ton poignet. Tout est grave, sauvé, blessé.
XVI
C’était ma douleur blanchie à la chaux. Tu patientes, étendue sur les feuilles recueillies. Il faut pouvoir ressembler au vent. Tu voles. Tu chantes. Je t’aime pour chaque branche.
C’était un sourire sur nos doigts fiévreux. Une étrange silhouette détachée du soir : Elle découvrait, pour nous, le monde. Mais seule tu voyais.
Je te crois, je t’influence, je t’obéis. Un mur nous réunit. Jamais tu n’as le même visage.
XXIV
Les collines ont, aux chevilles, de fines blessures par lesquelles tu peux voir couler le sang de la terre. Toute plante est une plaie ! Rien que douleur mon amour ; mais tes seins déchirés, tes seins pendus aux arbres, c’est plus que l’on en peut supporter. Nos mains s’interrogent au-dessus des victimes, sœurs de l’eau ou du poignard. Les collines tentent d’en appeler aux étoiles. Nos yeux levés leur ressemblent. »
Edmond Jabès
Trois filles de mon quartier
Imprimé par Guy Lévis Mano sur sa presse à 315 exemplaires, soit 15 (1 – 15) sur vélin du Marais & 300 (16 – 315 sur Alfama, plus 25 sur Alfama, signés par l’éditeur & réservés aux amis de GLM. Ex : 220
GLM, 1948