Lambert Schlechter, « Pieds de mouche »
photographie © Sophie Chambard
« — 001 —
Ce n’est rien, presque rien, rien qu’un murmure murmurant dans la pénombre ; petites berceuses contre la mort, sans musique, et des paroles à peine, berceuses pour le sommeil si le sommeil doit venir, si la nuit n’est pas trop grande, mais la nuit grande est là, immobile et à l’affût, prête à tout avaler. Ce n’est pas un cri, ce n’est rien, presque rien, rien qu’un murmurement, un bercement à peine avant la culbute.
— 002 —
Jamais les feuilles n’avaient mis autant de temps à partir, c’était un automne à seize degrés pendant plusieurs semaines. Les bouleaux surtout ont tardé à se défeuiller. Une étoffe aérienne qui habillerait un squelette. C’est en automne, surtout, que l’on sent qu’il faut dire les saisons, que l’on croit qu’il faut écrire un livre. Alors je me mets à dire la transparence des bouleaux. Feuilles d’automne qui seront celles d’un nouveau livre.
— 003 —
Le réveil, si loin qu’il m’en souvienne, n’a jamais, presque jamais, été le réveil ; presque jamais, c’est-à-dire neuf ou dix fois en quarante ans. Chaque matin c’est le jour qui cravache le corps ; et jour après jour le corps ne veut pas. Les horaires du jour ne sont pas les rythmes du corps, le corps est bousculé de syncope en syncope, jusqu’à la dernière — et tous les horaires sont enfin et sans merci réfutés.
— 004 —
Montale, me dit-on, fit à Paris il y a quelque trente-cinq ans une intervention sur la solitude de l’artiste. Texte introuvable. J’écrirai sur la solitude de l’artiste et ensuite partirai à la recherche du texte de Montale. Pour voir. La solitude ? L’artiste ? L’artiste façonne son objet, poème roman tableau statue sonate, sans doute pour dire (mais à qui ?) : me voici, me vois-tu ? »
Lambert Schlechter
Pieds de mouche
Éditions Phi, 1990