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Joseph Simas, « Premières leçons de lecture »

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« Cher Lecteur : personne ne se soucie de ce que j’ai fait hors page – à juste titre – et je serai le dernier à reconnaître que la profondeur de mon expérience me rend digne de tes efforts présents. Évidemment, on pourrait argumenter – mais dans quel but ? et à quoi bon ? Ma vanité est déjà bien lotie dans l’intimité : pourquoi chercherais-tu à me percer à jour ? Je me nourris de ma substance par constitution naturelle ; au terme de la digestion, tout mon savoir s’en est allé, mes lectures sont perdues, mon expérience est désavouée. Je ne serai jamais seul, je ne pourrais pas, et c’est pourquoi j’affirme que c’est toi qui m’as fait défaut, personne d’autre.

Des détails donneraient l’illusion de t’introduire dans le monde, mais la plupart t’y enfouissent, profondément. Je serais plus sûrement attesté comme un tout si je n’avais pas tant de terre dans la bouche. Il vaudrait mieux, tout simplement, que je renonce à te suivre ; que tu cesses de gaspiller avec moi ton temps précieux.

Le jour, pourtant, où nous nous retrouverons, ne crois pas te soustraire à mes mauvaises manières par un clin d’œil familier. Ce ne sera plus de circonstance. Ton chemin est tracé, long et ample. Le doute que tu laisses derrière toi est singulier et concret. Crois-moi maintenant quand je dis que je ne te laisserai jamais seul.

Tic-tac. Tic-tac. Tic-tac…

Tes pieds sont de plus en plus lourds, tes paupières se ferment doucement, et si je tombe de sommeil, tu coules. »

 

Joseph Simas

Premières leçons de lecture

Traduction collective de l’américain, à Royaumont, revue et complétée par Pascale Breton

Coll. Un bureau sur l’Atlantique, dirigée par Emmanuel Hocquard

Créaphis, 1995

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