Hermann Lenz, « Le Promeneur »
© : Isolde Ohlbaum
« Il pensa à ses livres, dans lesquels il avait décrit ce qui était important pour lui et qui passait maintenant pour démodé, sans doute parce que les gens dont il parlait avaient été écrasés ou se sentaient écrasés, tandis qu’on ne lisait partout que révolte, agressivité, esprit de contradiction. Ce dernier mot, aufmüpfig, était un mot nouveau, en tous cas il ne l’avait jamais entendu, peut-être parce qu’il venait d’Allemagne du Nord*. Et il pensait que si les gens se comportaient de cette manière, cela voulait dire : nous allons bien. Quant à lui, il n’avait pas de raison de se lamenter dès lors que les autres allaient bien ; pour le reste, il constata encore une fois avec étonnement qu’il n’avait besoin de rien ou que, étrangement, il ne souhaitait même pas la gloire. Certes, ce n’était pas tout à fait ce qu’il fallait, devoir sans cesse marcher en pensée sur un chemin étroit dont les pentes à droite et à gauche étaient à pic. Mais il ne rencontrait personne et il était content d’être seul. Seul avec les gens venus de ses livres et des confrères morts que tu rencontrerais volontiers. Et tu as la chance de ne pas devoir vivre seul.
Et il pensa à Hanne, dite aussi Hanne-la-Bien-Aimée, et à l’éditeur Bachem, là-bas à Cologne, celui qui imprimait ses livres. Ces deux-là tiennent à toi. Et puis les gens de l’Association des Écrivains bien disposés à son égard, car ce n’était pas la peine de s’occuper des autres, il s’étonnait parce que, de temps à autre, quelqu’un était toujours apparu pour lui rendre courage, parfois même un critique, car il était publié, malgré tout. »
Hermann Lenz
Le Promeneur
Traduit de l’allemand par Michel-François Demet
Rivages, 1988
* Les lexicographes allemands en situent l’apparition en 1972 dans un journal populaire suisse.