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Laura Kasischke, « Mariées rebelles »

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DR

 

« ROSIER

 

J’ai déterré mon grand-père   par accident

en plantant le rosier derrière l’appentis

 

Ses cheveux enterrés de longue date sont aussi doux et blancs

qu’une toile d’araignée, et l’araignée est argentée

et elle la tisse   la tisse

et en se relevant, il me dit :     Bon

je n’ai pas beaucoup de temps pour t’expliquer, ma chérie

alors il faudra que tu organises tout

toute seule   Assure-toi de trouver une place

pour chacun de nous

 

Mon grand-père me parle gentiment depuis la mort

et les mots sont si étincelants qu’ils volent

autour de sa tête comme une pluie

d’oiseaux éblouissants   et je suis soulagée de voir

que cette modeste tombe

ait pu comprimer toute cette douleur en lumière d’étoiles

dans mon propre jardin   où un beau jour mes enfants

pourront entailler le chagrin

à coups de burins et de piques

et le faire briller et le brandir à la lumière

du soleil   pour voir clairement la douleur dans la mort

comme je n’ai jamais pu la voir dans la vie   Les enfants

voici l’endroit

où votre arrière-grand-père

s’est changé en cendres de verre   C’était un homme

qui pleurait des larmes étincelantes

qui sa vie durant a bu

et pour qui le tourment se sirotait pur

 

C’était un homme gentil qui détestait les enfants

mais aimait les victimes et savait

quelles chairs palper parmi les plus tendres

et les abîmés de la vie le connaissaient à des kilomètres à la ronde

et l’appelaient par son nom

 

Mais voyez   sa souffrance s’est changée

en une poussière d’étincelles si fine qu’elle choque le regard

La mort doit finalement lui convenir

La mort doit énormément lui plaire

 

Il dit :   Bon

Assure-toi de prévoir largement pour les uns et les autres

et n’aie pas peur   nous serons rentrés lundi

et personne ne saura jamais que nous sommes partis

 

Je délire de joie comme un enfant fiévreux

et me rend compte qu’il est la source

de toute musique   de toute la musique

que ma vie a créée   de lui émane un chœur aveuglant

et je pleure enfin   à genoux 

dans la terre   les bras chargés d’épines   je

suis prêt à le suivre   n’importe où   prête

à emmener tout le monde avec moi

 

Mais quand vient le jour   (car il vient)

je ne suis plus si sûre   je

ne suis plus si sûre d’être

prête à partir »

 

Laura Kasischke

Mariées rebelles

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy

Préface de Marie Desplechin

Page à Page, 2016

 

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