Caroline Sagot Duvauroux, « Le Vent chaule »
© Brigitte Palaggi, 2005
« Alors tout le savoir des manuels et mamelles ne suffit plus à faire signe au passant. Juste on est rongé parfois quelqu’un dit oh ! un fossile. C’est qu’on attend longtemps beaucoup trop de cracher l’encre et c’est petit le temps du jet. On se souvient on se remplit tout entier de se souvenir pour couler la bile après l’encre et croire au flot qui nous fit flux ce jour qu’on était si jeune à aimer les récifs qu’on s’y fit fendre l’âme jusqu’au cul. C’est ainsi qu’on était devenu femme, laissant par distraction son sexe d’homme au rocher. Laissant au rocher le soliloque et la stérilité.
Se dit-on soit récif se dit-on quand les mots ne me trouveront plus que me servira d’être récif au vent debout.
Quand la mer ne viendra plus s’ouvrir sur moi, me limer l’arsis et la douce finale, me poncer le genre et l’accent me faire et défaire le caractère et me creuser l’œil et l’hampe alors d’avoir été récif aussi passera. Se cantonnera dans le mot, le récit du récif.
On s’allonge pour redresser la cambrure du peindre. Ou la morfondure d’écrire. On est recouvert d’oiseaux. Du blanc coule. La lune ? On dit bleu.
On suce de la lumière ou de l’ombre dans un crayon. On a la bouche toute noire à force et pour langue un pilon de langues. Plutôt francophone. Le français n’existe que pour les étrangers depuis le temps de l’école.
Et puis ça arrive. Ça a lieu. Les mots voient quelque chose qu’on ne voit pas. Des cigognes. Du temps commun. Mais y pense-t-on ? Du temps passe.
Il y a des rêveurs terribles, incorrigibles, des enchaînés, des nègres. Et puis un visage rigolard et autoritaire, une folle. Il y a un passage avec des courants violents. Mais que sait-on des maelströms ? qu’aa est un maelström en Norvège mais on l’apprend trop tard, le bateau est à l’eau. C’est par derrière qu’un vent nous traverse. On est branlant. Une cadence. On est sur la méditerranée. On se souvient de la bataille d’Alger sait pas pourquoi. On pense qui perd gagne. Mais quoi ? une seconde. Une belle seconde. Une mouette. On sait que le danger vient de la mer. Et les langues. On pense femmes en méditerranée. On voit des courages. On voudrait rejoindre les balkans. On reste entre des continents. Le vent viendra. On pleure aussi. Les mutilations. Pas de jambes ou la petite tête. Ils ont tranché le frère siamois. Celui qui savait. On est en prison sur la toue de langue. Pont ponton ponton pont. Dessus le temps qu’étions libre poiscaille. On pense à la mer rouge comme à un plat de sang peut pas traverser. On prie ce que chanter ne peut. On pense les chemins ne s’enfuient pas. On nous a perdu l’honneur dans les mornes d’une Martinique. On est un très vieil homme plein de détermination. Plein d’indifférence. Nos os dessineront près d’une roche amérindienne. Quelqu’un passera. Racontera. Ça suffira peut-être. »
Caroline Sagot Duvauroux
Le Vent chaule suivi de L’Herbe écrit
Corti, 2009