Yaël Cange, « J’ai regret de vous »
« N’en peux plus de cette douleur, comprenez. Trop longtemps que ça dure.
Demain j’écrirai une lettre…
Faudra trouver les mots oui. Serais-je sans le savoir ? Je le pourrai. Le peux. Bien qu’à certains moments, ils me quittent. Bon. Pas de mal à espérer. Mais pour qui ces mots ? : des histoires de douleur — y en a t-il qu’on puisse entendre ? Ainsi — de celles-là : qui font crier le fond jusqu’à la gorge : “De grâce, de grâce, vous ! Par bonté, soutenez-moi.” Quand ce n’est pas que j’espère — j’implore, voyez. Dans tous les cas — c’est tant que je peux. Et puis je sais maintenant : ce n’est pas trop endurer ce que vous êtes. À voir jusqu’où — corps — pèse lourd sur moi, force m’est de supporter. Le faut pourtant. Vite. Vite. Avant que s’humilie, sinon la voix — du moins, le ferveur sauvage.
*
“Soutenez-moi” je disais. L’ai-je vraiment cru possible ? N’était-ce pas, plutôt, penser sans la parole, le geste : ce qu’il leur faudrait, à eux aussi — de peines ravagées.
Ô vous ! Préparez-moi — à affronter en l’être — le désert terrassant qu’amour ne laissa pas d’exercer.
Préparez-moi à l’affront devenu — avouable.
Préparez-moi.
*
Misère de tout ! Pour autant que je rêve — n’en demeure pas moins vrai — qu’anges — parfois, s’ils semblent éclairer, se prennent eux-mêmes — à leur propre déperdition.
Que s’achève, en ce cas — cette manière de désastre que je suis — serait chose peu concevable.
Force m’est seulement de supporter jusqu’où le cœur me bat. »
Yaël Cange
J’ai regret de vous
Dessins de Robert Groborne
Préface de Claude Louis-Combet
Coll. Écri(peind)re, Æncrages & Co., 2012