Lambert Schlechter, « Le Ressac du temps »
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« Les heures du jour, je ne les maîtrise pas bien, elles passent, elles tombent, elles vont, et vient la nuit, et je suis dans la nuit insomniaque, je déambule à travers la maison, le cœur pesant, la tête lourde, et je lutte contre la fatigue, les heures de la nuit, je ne les maîtrise pas bien, elles passent, elles vont, et vient le jour, je n’ai pas assez dormi, ne me réveille pas, dors la moitié du jour, et lutte contre le sommeil qui me tient, me retient, ma maison est trop encombrée, et ma tête aussi, le jour où j’aurai ma tête un peu désencombrée, j’écrirai une longue lettre à Chen Fou, lui ferai le simple récit de ma vie fugitive, je suis sûr que je trouverai les mots, je lui dirai : je me suis promis de te faire une page, je te ramasserai en quelques phrases l’essentiel de ma vie, mais pour le moment, ne m’en veux pas, ça ne va pas, aucun récit ne sortira de ma paresseuse & sèche plume, elle gratte le papier à vide, rien ne se passe le long de la page, c’est trop tard dans la nuit, ma tête est trop lourde, j’ai le vertige, je suis dans un profond désarroi, les heures du jour, je ne les maîtrise pas très bien, elles tombent, tombent, la nuit vient trop vite et ne m’accueille pas vraiment, la nuit pourrait être ma bulle de sécurité, tout est si étrange, si effrayant, je suis tout le temps angoissé, comme s’il y avait partout des menaces, un jour, Chen Fou, je trouverai les mots pour te faire le récit de ma vie fugitive, patiente un peu, un jour je te ferai une page qui te plaira. / feuille volante, lettre à Chen Fou, mai 1998 »
Lambert Schlechter
Le Ressac du temps – Le Murmure du monde, V
Les Vanneaux, 2016
Un extrait des Lettres à Chen Fou : http://www.unnecessairemalentendu.com/archive/2014/07/16/lambert-schlechter-lettres-a-chen-fou-5411613.html