Louis Calaferte, « Rosa mystica »
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Visage levé, bouche ouverte, offert à la pluie qui l’inonde. Les gouttes frappent le front, les joues, les épaules, les bras nus dans la robe, se suspendent, ruissellent le long du cou, s’étoilent en s’écrasant sur le bord décolleté de la poitrine.
Au bout des bras écartés, les paumes creuses recueillent de cette eau abondante, tandis que les lèvres s’essaient à la happer.
Aspersion. Rose suave. Précieux Sang. Fons-signatus. (Où êtes-vous, multitude des Anges ?)
Le regard vif, joyeux et secret.
(Ô ! pourquoi n’avons-nous plus ta pureté ?
Gracilité de la silhouette frêle immobilisée dans l’ombre du jardin.
Blancheur de la robe qui la vêt.
C’est le calme matin. C’est le jour. C’est l’occlusion de la nuit. Elle est là.
J’entretiens un silence.
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Il y aura, liés, dans le souvenir à des gestes, à des attitudes, à une façon de prononcer un mot, ou de rire, ou de se taire, ou d’adresser un regard, toute cette beauté d’herbe, de forêts, de champs verts, de fleurs, de lumière, de soleil, de nuages torturés ; tel aspect du paysage, à un certain endroit, à une certaine heure de la journée, sous un certain éclairage ; telle forme de bouquet, telle atmosphère dans la maison…
Cela —, qui n’existera que pour moi seul, qui me prépare à l’adieu. »
Louis Calaferte
Rosa mystica
Denoël, 1968, rééd. Folio n° 2822, 1997