Volker Braun, « Walter Benjamin dans les Pyrénées »
DR
« S’enfoncer calmement dans le mur de brouillard.
Les bras rament repliés mais régulièrement.
Selon les indications du papier au-dessus du précipice
L’explosif dans la sacoche
Le présent
Pas à pas, comme le hasard
Offre au pied un mince point d’appui
Dans le matériau. Chère Madame, le vrai risque
Serait de ne pas partir.
D’après la montre / une halte au bout de cinq lignes.
Des champs où ne pousse que la folie.
Progressant, hache plantée en tête
Je n’ai rien à dire. À montrer seulement.
Dans le plus petit segment précisément découpé.
Sans regarder à gauche ou à droite vers
L’horreur
J’y arriverai en suivant la méthode.
La vigne ruisselle, dévale à la verticale
Pleine de grappes sombres sucrées presque mûres.
Le plus important, c’est la sacoche ! Le corps entre les ceps
Respiration difficile, le cœur
Lutte, le moment critique :
Quand le statu quo risque de durer.
Squelette sous moi au-dessus de moi les vautours.
Plus courtes enjambées, pauses plus longues.
Ma patience me rend indépassable.
Hisser les voiles des concepts. Chère Madame,
Puis-je me servir ? Au sommet
Soudain comme prévu la violence
Du coup d’œil. Bleu profond des mers :
D’un seul coup j’en vois deux. Côtes de cinabre.
Sous les falaises, la liberté
…
À Port-Bou on ne passe pas. Mais nous les apatrides
Avons la dose mortelle
Voudriez-vous garder la sacoche – sur nous.
Sans doute pensa-t-il ne pas pouvoir faire une nouvelle ascension. Au matin les douaniers ont trouvé le cadavre dans mon texte. La construction suppose la destruction. La lourde sacoche de cuir, échappée à la Gestapo, UNOS PAPELES MAS DE CONTENIDO DESCONOCIDO a été perdue. Trop rapide, le trait final, monsieur, à votre vie. La vie, si je puis dire, porte l’œuvre sur cette pente abrupte.
Dans chaque œuvre on trouve cet endroit où le vent frais nous souffle au visage, comme l’aube qui vient »
Volker Braun
Poèmes choisis
Traduit de l’allemand par Jean-Paul Barbe et Alain Lance
Préface d’Alain Lance
Poésie / Gallimard, 2018