Dominique Fabre, « Les enveloppes transparentes »
DR
« Parfois
les lettres dans les enveloppes transparentes
semblent vivre leur propre vie
vers luisants au bord des routes
oubliées au fond des boîtes
elles font des luminaires orgues de barbarie
pour les dormeurs des rues
ceux qui attendent un coup de fil
jamais venu
raidis dans la cabine des télécom
ceux qui attendent d’être chassés
des bancs du métro par les tordus
de notre temps
ceux qui ne peuvent pas dormir
et arpentent la banlieue de Paris ou Paris
comme un nouveau continent endormi
s’enfoncent où
dans l’irrespirable présent
comment savoir de quel enfer
ils trouvent le paradis ?
parfois un balayeur
de la plus matinale brigade
vient avec ses collègues
au sortir du dernier café de la nuit
briquer la boîte
où l’enveloppe transparente
chante et résonne
dans le rêve
d’une jolie fille dénudée
d’une famille qui tourne en rond
d’un postier qui ne dort plus
depuis qu’il sait
que dans quelques tournées
il va partir
et personne chez lui
ne l’attend
_______________________________________________
Elle lui disait
tiens bonjour
ce sont des factures aujourd’hui ?
il lui répondait oui ou non
ou désolé
elle lui disait au revoir
et surtout revenez demain
vous êtes la seule âme qui vive
que j’aurais pesée aujourd’hui
mais quand on est dimanche
c’est vraiment terrible
oh que oui
il allait vite
par habitude d’aller vite
de ne pas se laisser aller
car tant de choses vont si vite
comment va la douleur
aujourd’hui ? »
Dominique Fabre
Les enveloppes transparentes
coll. Ré/velles, L’Attente, 2018