Pascal Quignard, « L’évanouissement »
© cchambard
« Le samedi 18 août, le premier jour de la canicule, j’étais dans le jardin, je dormais dans un fauteuil transatlantique à l’ombre du bûcher, il faisait 38 degrés, j’ai entendu un bruit sur la rivière, ou, dans un rêve, j’ai vu un enfant qui venait sur la rive, je me suis levé, j’ai voulu traverser l’herbe pour rejoindre le bord de l’Yonne mais, dans le mouvement même de me lever, j’ai eu un vertige, mon pied droit a lâché, tout mon corps a commencé une étrange rotation, ma tempe droite et mon oreille sont venues frapper la poutre qui soutient l’auvent du premier ermitage, mon corps a continué de tourner sur lui-même, s’est mis à fléchir, mon genou s’est ouvert sur une pierre, j’ai rebondi un peu sur les cailloux, un bleu s’est étendu sur ma hanche gauche, j’ai un peu sursauté dans l’herbe grillée et chaude, mon bras s’est couvert d’égratignures tandis que, mon torse se décurvant tout à coup, ma tête a été projetée en arrière sur une marche, je me suis évanoui. Étrange danse lente de tombée sur la terre faite de trois rebonds, dont j’ai le souvenir physique, comme une valse où plus aucun muscle ne fonctionnait, où plus aucune volonté n’agissait, mais dont le temps fort ne pouvait pas manquer d’être le dernier, — de s’adresser au dernier.
Je me suis éveillé plus tard dans l’après-midi, sur le dos, sur la terre, le corps en plein soleil, la nuque couverte de sang, dans le plus total silence.
La déposition de croix. Le dépôt du corps tombé en transe sur la terre. La descente du corps sur la terre dans la naissance. La tombée du corps dans la mort.
Je ne cesse de méditer que la première image humaine tombe.
Aussi bien naissance que mort, c’est le point de naissance-mort. Ce point de contact avec la terre-propre-au-second-monde. Ce point de contact du corps et de la terre, c’est le dernier royaume. »
Pascal Quignard
L’Origine de la danse
Galillée, 2013
Cette page, je me & vous l’offre pour mon anniversaire. Elle est d’un ami cher.
Commentaires
Cher Claude,
Je tourne la page nuit vers hier, jour de mon anniversaire.
Je lui offre ces mots qui sont sans limites.
Milesker anitz
je vais longtemps méditer ce texte. merci !
Tomber ainsi, splendide!
Merçi