Yunus Emré, « Je goûtais le raisin… »
« Je goûtais le raisin de ce prunier
Lorsque le jardinier atrabilaire
M’a demandé raison de cette noix
Que je croquais.
J’ai fait sur le vent du nord
Bouillir la boue sèche du chaudron
Puis à mon questionneur j’en ai servi l’essence
Et je l’y ai trempé.
Le tisserand n’a point encore roulé pelote
Du fil que je lui ai donné.
Cependant il me presse
De prendre sans retard
Mes trois lés apprêtés.
L’aile d’un moineau fut
Sur quarante chars chargée.
Les quarante chars ne l’avancèrent.
Alors est ainsi demeurée sur les chars immobiles
Cette aile déployée.
Un aigle par une mouche soulevé
Fut de trois cent pieds précipité.
J’ai vu la poussière de la terre.
Ce fut hier
Et c’est vrai.
J’ai lutté avec la chimère
Celle qu’on ne peut saisir.
Elle enlaça mes jambes
Ma jeta sur le sol.
J’ai dû souffrir.
Je ne sais qui de ces monts circulaires
Me lance cette pierre
Pour me défigurer.
Le poisson monte sur le peuplier
Pour lécher la poix et la saumure.
La cigogne accouche d’un âne.
Entendez-vous cette chanson ?
J’ai parlé bas à l’aveugle le sourd m’a compris
Le muet a dit ma secrète pensée plus haut que je ne puis.
Yunus enfin a prononcé le mot qui n’est à rien semblable
Et dont le sens n’existe à cause des médisants. »
Yunus Emré
Poèmes
Choisis et traduit par Yves Régnier avec le concours de Burhan Toprak
GLM, 1949