Denise Levertov, « Deux poèmes »
DR
« Le lit
Nous sommes une prairie où bruissent les abeilles,
l’esprit, le corps sont presque confondus
lorsque le feu s’avive dans le poêle
et que nos yeux se ferment,
et que, bouche à bouche, blottis
dans la tiédeur de la laine,
nous dormons comme dorment les chevaux dans l’herbage,
à l’unisson. Pourtant l’automne froid
enserre notre lit, et pourtant tout le jour
nous sommes singuliers et souvent solitaires.
Les esprits apaisés
Le voyageur arrive enfin, au cœur de la forêt,
dans la cabane où, lui a-t-on promis,
un sage le recevra.
Mais il n’y a personne ; des oiseaux, des bêtes menues
s’agitent, disparaissent, puis reviennent pour l’observer.
Nul regard humain ne l’accueille.
Pourtant, dans la cabane, il trouve de la nourriture,
gardée chaude près des tisons,
des habits odorants, à sa taille,
pour remplacer les haillons de l’errance,
et une couche de bruyère des collines.
Il reste là, il attend. Chaque jour
quelqu’un charge le feu, remplit la cruche
pendant qu’il dort.
Lui-même tire l’eau du puits,
écrit le récit de ses voyages, guette le bruit d’un pas.
Peu à peu il découvre
que l’absent, le sage, lui parle,
qu’il est présent.
C’est ainsi
que vous m’avez parlé, ainsi que — surprise —
je vous ai entendus. Lorsque j’en ai besoin,
un livre ou une feuille de papier
apparaît dans ma main, où la vôtre a écrit : messages
qui m’attendent sur les étagères de la cave,
dans des boîtes oubliées,
jusqu’à ce que j’écoute.
Vos esprit s’apaisent ;
maintenant, elle regarde, murmurez-vous,
maintenant elle commence à voir. »
Denise Levertov
Un jour commence
Poèmes traduits de l’anglais et préfacés par Jean Joubert
Coll. Comme, Les Cahiers des brisants, 1988
Commentaires
Merci, Claude !