Michel de Montaigne, « De la solitude »
« C’est assez vescu pour aultruy ; vivons pour nous au moins ce bout de vie ; ramenons à nous et à nostre ayse nos pensees et nos intentions. Ce n’est pas une legiere partie que de faire seurement sa retraicte : elle nous empesche assez, sans y mesler d’aultres entreprinses. Puisque Dieu nous donne loisir de disposer de nostre deslogement, préparons nous y ; plions bagage, prenons de bonne heure congé de la compaignie ; despetrons nous de ces violentes prinses qui nous engagent ailleurs et esloignent de nous.
Il fault desnouer ces obligations si fortes ; et meshuy* aymer cecy et cela, mais n’espouser rien que soy ; c’est à dire, le reste soit à nous, mais non pas ioinct et collé en façon qu’on ne le puisse despendre sans nous escorcher et arracher ensemble quelque piece du nostre. La plus grande chose du monde, c’est de sçavoir estre à soy. »
* maintenant
Michel de Montaigne
Essais, livre I, chapitre XXXVIII
Bon anniversaire Michel de Montaigne, 28 février 1533