William Butler Yeats, « Les trois ermites »
« Trois vieux ermites prenaient l’air
Près d’une mer froide et désolée,
Le premier murmurait une prière,
Le second fouillait à la recherche d’une puce ;
Sur une pierre battue des vents, le troisième,
Étourdi par ses cent ans,
Chantait comme un oiseau sans qu’on y prête garde :
“Même si la Porte de la Mort est proche
Et proche ce qui attend derrière elle,
Trois fois en un seul jour,
Tout en me tenant droit sur le rivage,
Je m’endors quand je devrais prier.”
Ainsi parla le premier, mais alors le second :
“Nous ne recevons que ce que nous avons mérité,
Lorsque sont comptées toutes les pensées et les actions,
Car on voit clairement
Que les ombres des saints hommes
Qui ont échoué par manque de volonté,
Passent à nouveau la Porte de la Naissance,
Et ils sont harcelés par des foules
Jusqu’à ce qu’ils aient l’énergie de s’échapper.”
L’autre dit en se plaignant : “Ils sont mués
En quelque forme effrayante au plus haut point.”
Mais le second se moqua de cette plainte :
“Ils ne sont changés en rien,
Car ils ont aimé Dieu une fois, sauf peut-être
En poète ou roi
Ou en dame charmante et spirituelle.”
Tandis qu’il avait fouillé haillons et cheveux,
Attrapé et fait craquer sa puce, le troisième
Étourdi par ses cent ans,
Chantait comme un oiseau sans qu’on y prenne garde. »
William Butler Yeats
Responsabilité (1914)
Traduit de l’anglais et présenté par Jacqueline Genet
Verdier, 2003