William Butler Yeats, « Ma maison »
Thoor Ballylee, Gort, Comté de Galway, République d’Irlande
« Un pont très vieux, une tour plus vieille encore,
Une ferme à l’abri de ses murs,
Un arpent de cailloux,
Où peut fleurir la rose symbolique,
De vieux ormes défaits, partout de vieilles ronces,
Le bruit de la pluie ou le bruit
Des quatre vents qui soufflent ;
La poule d’eau sur ses échasses
Qu’en pataugeant chasse
Une douzaine de vaches
Et qui retraverse l’eau.
Un escalier en spirale, une voûte de pierre,
Un âtre ouvert au manteau de pierre grise
Une chandelle, des mots sur une page.
C’est en des lieux semblables
Que peina le platonicien d’Il Penseroso
Dans un pressentiment
Du délire sacré
Où l’Esprit imagina le monde.
Les voyageurs de nuit
Retour de foire ou de marché
Ont vu luire souvent sa chandelle à minuit.
Deux hommes ont fait souche ici.
Un homme d’armes et sa troupe de cavaliers
Passa ses jours en ces lieux troublés,
Connut de longues guerres, des alarmes nocturnes,
Et finit avec le reste de ses hommes
Comme à l’écart du monde, oublieux, oublié ;
Et moi qui laisserai
Aux héritiers de mon sang
Les symboles parfaits de l’adversité
Où s’exaltent les âmes solitaires. »
William Butler Yeats
Second mouvement de l’ensemble « Méditations du temps de la guerre civile » (1922)
In Cinquante et un poèmes
Traduction nouvelle et notes par Jean Briat
William Blake & Co. Édit.