« Maintenant, j’ai plus qu’à crever.
Il se pourrait bien qu’on vous entende, dit Suttree.
J’voudrais, dit le chiffonnier. De ses yeux bordés de rouge, il jeta un regard furibond de l’autre côté de la rivière vers la ville sur laquelle descendait le crépuscule. Comme si la mort s’était embusquée dans ce quartier.
Personne ne veut mourir.
Merde, dit le chiffonnier. En voilà un qui en a plein le dos de vivre.
Vous donneriez tout ce que vous avez ?
Le chiffonnier lui lança un regard soupçonneux mais ne sourit pas. Ça sera pas long, dit-il. Les jours d’un vieux ça file comme des heures.
Et ensuite qu’est-ce qui se passe ?
Quand ?
Après que vous êtes mort.
Y’a rien qui s’passe. T’es mort.
Vous m’avez dit une fois que vous croyiez en Dieu.
Le vieil homme agita la main. Peut-être, dit-il. J’ai aucune raison de penser qu’il croit en moi. Oh, j’aimerais bien le voir une minute si j’pouvais.
Qu’est-ce que vous lui diriez ?
Ben, je crois que tout ce que j’lui dirais. Que j’lui dirais : Attendez une minute. Attendez une minute avant de vous mettre après moi. Avant que vous dites quoi que ce soit, il y a juste une chose que j’voudrais savoir. Et alors Lui y dirait : Qu’est-ce que c’est ? Et alors, je lui demanderai : Pourquoi donc que vous m’avez embarqué dans ce jeu de couillons, en bas ? J’ai jamais rien compris là-dedans.
Suttree sourit. Qu’est-ce que vous croyez qu’il répondra ?
Le chiffonnier cracha et s’essuya la bouche. J’crois pas qu’y puisse répondre à ça. J’crois pas qu’y ait d’réponse. »
Cormac McCarthy
Suttree
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guillemette Belleteste
et Isabelle Reinharez
Actes Sud, 1997, rééd. Points/Seuil n° 489, 1998