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Anniversaires - Page 2

  • Thomas Bernhard, « Un enfant »

    thomas bernhard,un enfant,grand-père,24 février 1890,gallimard

     

     

    « Les grands-pères sont les maîtres, les véritables philosophes de tout être humain, ils ouvrent toujours en grand le rideau que les autres ferment continuellement. Nous voyons, quand nous sommes en leur compagnie, ce qui est réellement, non seulement la salle, nous voyons la scène et nous voyons tout, derrière la scène. Depuis des millénaires les grands-pères créent le diable là où sans eux il n’y aurait que le Bon Dieu. Par eux nous avons l’expérience du spectacle entier dans son intégralité, non seulement du misérable reste, le reste mensonger, considéré comme une farce. Les grands-pères placent la tête de leur petit-fils là où il y a au moins quelque chose d’intéressant à voir, bien que ce ne soit pas toujours quelque chose d’élémentaire, et, par cette attention continuelle à l’essentiel qui leur est propre, ils nous affranchissent de la médiocrité désespérante dans laquelle, sans les grands-pères, indubitablement nous mourrions bientôt d’asphyxie. Mon grand-père me sauva du morne abrutissement et de la puanteur désolée de la tragédie de notre monde, dans laquelle des milliards et des milliards sont déjà morts d’asphyxie. Il me tira suffisamment tôt du bourbier universel non sans un processus douloureux de correction, heureusement la tête en premier, puis le reste du corps. Il dirigea mon attention suffisamment tôt mais effectivement il fut le seul à l’avoir dirigée, sur le fait que l’homme a une tête et sur ce que cela signifie. Sur le fait qu’en plus de sa capacité de marcher, la capacité de penser doit commencer aussitôt que possible. »

     

    Thomas Bernhard

    Un enfant

    Traduit de l’allemand par Albert Kohn

    Gallimard, 1984 (première édition allemande, 1982)

     

    pour le 24 février 1890

  • Gustave Roud, « Ô mère… »

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    « Ô mère, c’en est fini de ces questions remâchées au long des ans, dans l’usure de toute résignation, comme une herbe d’amertume.

    Ô mère, un oiseau m’a donné la seule réponse. De deuil en deuil, il a fallu toute une vie, toute ma vie pour recevoir enfin ce don immérité : le secret qui va nous joindre.

     

    Ô mère, écoute : il n’y a plus d’ailleurs. »

     

    Gustave Roud

    Requiem

    Payot, 1967 – actuellement disponible dans la collection Mini Zoé

     

    pour le 20 février 1926

  • Un matin, simplement un matin

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    © Sophie Chambard

     

    pour fêter l’anniversaire de Sophie, ce 30 janvier

     

    Un matin, simplement un matin, frais, un peu ensoleillé, les oiseaux sont de la partie, l’enfant est vivante, elle fait des petits baisers avec ses petites mains potelées & son petit sourire transperce la bêtise & la méchanceté, tu sais, elle dit les mots d’amour, elle dit framboise & pistache d’Égine, elle mâche lentement, on pourrait croire qu’elle déguste déjà ses souvenirs, elle ne pleure pas ou alors lorsqu’il n’y a personne, elle rit souvent en regardant les papillons aller de fleur en fleur, aspirant les sucs qui arrondiront son ventre, elle parle de vie, ce n’est pas facile une vie, elle sait déjà que c’est une tâche très ardue qui nécessite que l’on partage la grâce du chat qui s’étire

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Un présent,

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    © : cchambard

     

    pour mon merveilleux filleul Valère,

    ce 12 décembre 2020

     

    Un présent, enveloppé dans un papier d’hier, que l’on utilisera demain, un présent, c’est l’enfance qui revient, c’est un jour sans brouillard, une soupe sans caillou, de la neige à Noël — Pâques aux tisons, Noël au balcon —, c’est dormir tout habillé & se réveiller frais comme un nouveau baptisé, s’endormir comme un saint & se réveiller comme un diable, un présent c’est une promenade au bord du canal, sa petite main dans une bien large & rassurante, croiser péniches & boulonnais sans changer d’époque, cueillir des fruits mûrs sur des arbres généreux de toute éternité, c’est le texte bienvenu avant même d’avoir été écrit

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Je rêve de trouver, un matin…

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    Shi Tao, vers 1700

     

    pour fêter l’anniversaire de mon ami Tristan Hordé,

    ce 6 décembre 2020

     

    Je rêve de trouver, un matin, le journal intime du merle & à l’hiver celui de son ami le rouge-gorge – le rossignol chante trop pour avoir le temps de noter quoi que ce soit, il est déjà ivre de lui-même –, ce serait comme un voyage au monastère du Dragon Bleu, le style en serait leste & sans mauvaise contrainte, dix mille mots y bâtiraient quelques phrases essentielles, je ne divulguerais rien, même sous la torture, comme il est d’usage de dire, le merle est un frère des coteaux du sud, le rouge-gorge des coteaux du nord, leurs journaux, ceux qui m’intéressent, disent les embuscades & les tranquillités du jardin & des forêts de la Chique

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

     

  • Un matin, dévaler encore…

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    pour fêter l’anniversaire de mon ami Lambert Schlechter,

    ce 4 décembre 2020

     

    Un matin, dévaler encore, la page & la vie, descendre le pichet de vin du vieux Li Po avec l’ami Shen Fu, toujours boire avec un compagnon & chanter avec lui dès que la lune se lève pour égayer le ciel sans limite comme l’amitié, loin de notre pays natal, vieux camarade, nous essayons de ne pas laisser la tristesse nous envahir, il fait frais, allumons le vieux poêle, le cœur est voyageur, d’est en ouest, de rivière en rivière, cette douceur de vivre près des vignes, tout à côté des forêts, nous avons marché longtemps, songeant à nos amis éparpillés qui sont enfin rentrés chez eux, nos livres se confondent, c’est la voix qui est l’identité du poème

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Bernard Noël, « La chute des temps »

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    Bernard Noël, 27 novembre 2010, bibliothèque Mériadeck, Bordeaux ©CChambard

    Ritournelles 11, Le corps écrit. 

     

     

    […] l’avenir n’est pas un jour plus un jour

    il est maintenant

                        oh dis-je

    si tu ne veux pas de moi

    le toi ne pourra te revenir

    pas plus que ton image de moi

    ne pourra sortir de toi

    nul n’est en soi hormis les anges

    ton image criera en moi

                                oh injuste

    injuste et mon souffle emportera

    le visage qui sur ton visage était

    la beauté de mes yeux

    et il restera tout à dire encore

    de notre vivant puis tu marcheras

    sur mon ombre poussant

    du pied ce petit tas de mots

    le désir

               le désir fut ce glissement

    vers l’immédiate éternité

                                le cœur

    battant le venir battant

    pour que la forme du présent

    soit la même que ce battement

    quel amour les pierres blanches

    autour du lit et l’air

    entre les doigts coulant

    un silence la peau de l’œil

    fraîche les mains cousant

    une lumière

                   je n’écrirai plus

    disais-je et tu me répondais

    il faut que vive de nous

    ce qu’aucune peau ne protège

    et qui n’a pas même de chair

    pour en mourir […]

     

    Bernard Noël

    La chute des temps

    Textes/Flammarion, 1983, réédition Poésie/Gallimard, 1993

     

    Aujourd'hui Bernard Noël a 90 ans. Bon anniversaire Bernard.
    Dédicace spéciale à Sophie, depuis 1973.

  • Michaël Glück, « 7 jours en mai »

    Les Inédits du Malentendu, volume 2.

     

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    Lysiane Schlechter, Dreaming – craie/papier– décembre 2019

     

     

    01/05

    il écrit : cette fleur, la beauté de cette fleur, la beauté est cette fleur ; il écrit ce qu’il tait : la laideur du jour qui n’est pas cette fleur, les couleurs et les cris du matin à l’écoute des nouvelles du monde ; il écrit entre laideur et beauté, entre la bouse et les cils soulignés de khôl des belles Aubrac.

     

    Il écrit : ce jourd’hui n’est pas celui de la fête du travail, ce jourd’hui est anniversaire des luttes des travailleurs, la beauté est cette fleur des luttes, la beauté est dans le refus de la domination, la laideur du jour est dans cette nomination : fête du travail.

     

     

    02/05

    il écrit qu’aujourd’hui n’est pas lendemain de fête, qu’il ne travaille plus, qu’il ne travaillera jamais plus, il écrit qu’une phrase d’arthur rimbaud lui tourne dans la tête et que pourtant il lui faudrait faire travailler sa mémoire, qu’hier n’est pas si loin, hier, il pouvait se souvenir de tant.

     

    il écrit il, parce que sortir de il est exil et qu’on ne connaît pas encore le mot exelle, excelle, oui, ce mot est bien recensé, mais exelle non, il y a comme ça des mots dont on dira néologisme sans le laisser paraître dans l’ordinaire des usuels, c’est ainsi la patience, la lenteur des lexicographes, c’est ainsi.

     

     

    03/05

    il écrit que dans sa main tient le stylo, qu’il aime la couleur et le parfum de l’encre, que les instruments anciens ont une musique d’enfance, qu’écrire est cette enfance muette qu’il affrontait dans la nuit silencieuse quand il entendait derrière les murs de sa chambre les hoquets ou ronflements des parents dans leur grand lit.

     

    il écrit qu’écrire se souvient encore de l’enfance et que la rage lui vient de savoir aujourd’hui enfances plus meurtries encore que la sienne ; il écrit contre. il écrit pour. il écrit pour ne pas guérir de cette belle maladie de vivre ; dehors l’églantine écolière fait des lignes de ciels avec pâtés de nuages.

     

     

    04/05

    il écrit que la main qui écrit est une main négative, que l’écriture dit l’absence, dit la main qui se soustrait au fouissement de la terre, au geste de porter la terre vers la bouche, à celui d’ensemencer et plus tard cueillir, il écrit que la main qui écrit désapprend à tuer.

     

    il écrit : j’ai posé sur le bois le couteau de la faim ; une autre main a pris le bois, le couteau a taillé une autre absence dans le bois, le couteau a taillé les petits dieux absents, a cessé de vénérer, il écrit que la main a offert aux enfants les figurines d’un jeu autre avec l’absence.

     

     

    05/05

    il écrit la soif, l’indécence qu’il y a à écrire la soif quand l’eau manque ; la main tavelée par la soif et les ans ; il écrit, il décrit ; la main cherche dans l’encre façon d’apaiser la soif ; il dit qu’il ne sait d’où lui vient cette soif, cette faim des mots ; il écrit l’enfance muette des phrases restées au fon de l’encrier, sous la craie.

     

    il écrit les vieilles guerres d’écoliers ; se souvient des insultes qui tombaient du ciel avec la poussière des paillassons ; sales étrangers, youtres, youpins ; il écrit ces mots qu’il a entendu derrière les otites ; ces mots qu’il a lus plus tard, qui ne faisaient pas dans la dentelle, sous les bagatelles ; il écrit : massacre.

     

     

    06/05

    il écrit la nostalgie des odeurs d’encre dans la salle des rotatives, les souvenirs des voix qui cherchent les questions plutôt que les réponses, il regarde sa main tachée, le noir bleuit sur la peau rosée et ridée, il murmure le mot événement puis balbutie avènement, il écrit, il n’entend pas sur la place les chants d’oiseaux.

     

    il écrit qu’il aurait aimé écrire, qu’il y a des chansons d’amour inaudibles sous les décombres, que le service public se retire de tout soutien au silence entre les mots, qu’il faut faire du chiffre et mettre en concurrence les longueurs des listes de poètes, qu’il faut assermenter assermentir.

     

    07/05

    il écrit qu’il a commencé l’écriture d’un nouveau livre et sait qu’il lui faudra changer de chemin, emprunter les laies transversales, il écrit qu’il faudra donner autre corps autre chair à ce pronom personnel, étoffe vide qui ne préserve ni du dehors ni du dedans, il écrit qu’il a à renoncer.

     

    il écrit tourments des jours des matins, tourments des nuits qui s’encrent, il écrit parce qu’il ne dit pas, parce que quelque chose en lui a cédé au silence ; il écrit pour céder et celer ce silence ; il sait trop la profusion des phrases, les envolées ; il sait qu’il eût pu basculer vers l’excès ; il écrit qu’il lui faudrait brider l’écriture.

     

    Michaël Glück

    7 jours en mai 

    2018

     

    Publié ce jour d’hui pour fêter l'anniversaire de Michaël Gluck.

  • Isabelle Baladine Howald, «  La lisibilité des signes »

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    Isabelle Baladine Howald, entre Sophie & Claude Chambard, été 1985, château de Bonaguil

     

    « J’avais six ans, j’apprenais à lire, à écrire, de façon inséparable.

    Je n’ai désormais plus jamais séparé ces deux choses.

    Je lisais tout, le moindre panneau, la moindre affiche, la moindre enseigne, le dos d’une boîte, l’étiquette d’un produit, et les livres, tous les livres. J’ai lu tard des livres enfantins, et suis passée en un mois de temps à la littérature.

    J’écrivais très mal, c’est toujours le cas —“Écriture impossible”, sur les bulletins ; ça ne m’a jamais arrêtée… J’avais trouvé un monde, le mien, silencieux, solitaire, d’où je n’émergeais que contrainte et forcée, à demi hallucinée, peuplée de fantômes.

    Maupassant, dans un de ses livres, décrit son “éblouissement”, enfant, découvrant lors d’un mariage – il me semble –, en se glissant sous la table, “le bracelet de chair” entre le bas et la jarretelle de la jeune fille, tellement émerveillé qu’il dit avoir passé le reste de sa vie à la recherche de ce qu’il éprouva ce jour-là et qu’il n’a, bien sûr, qu’illusoirement retrouvé de temps en temps… C’est le sujet de tous ses livres : l’illusion perdue. L’écriture a de l’expérience érotique au moins cette approche de l’autre dont on ne fait que s’approcher. Mais l’autre, pas plus que l’écriture, personne, jamais, ne l’aura à soi.

    La découverte de ce continent fut mon éblouissement à moi. Je passerai ma vie à rechercher cet instant et, parfois, parfois, éperdument reconnaissante, je m’en approche.

    Je passerai ma vie à aimer les livres, à tout aimer d’eux, pas seulement les lire ou en écrire. J’aime les écrivains, les éditeurs, les libraires, les lecteurs ; j’aime les bibliothèques privées, plus secrètes que les publiques ; j’aime les textes ; j’aime m’occuper des livres, les ranger, les porter, les nettoyer, les couvrir, les dévêtir de ces affreux plastiques qui les isolent de l’air et des mains, les offrir, les annoter, regarder s’ils sont collés ou cousus (je les préfère cousus), prendre le coupe-papier… Il n’y a plus guère que les éditeurs de poésie à ne pas couper les cahiers des livres par avance. Il y a aussi un petit Beckett, L’Image, qui se vend mal, et dont le stock d’exemplaires non découpés n’est sans doute pas encore épuisé…

    J’aime tous des livres. Le plus mauvais d’entre eux sera toujours bien traité ; j’aurai toujours du mal à l’imaginer mis au pilon.

    Je m’épuise dans cet amour et, parfois, je désespère de tout ce que je ne peux lire.

    Dans le jour qui se lève, on me trouve assise à écrire.

    C’est sans doute pour retrouver la lisibilité des signes ou écrire le livre qu’à six ans j’ai cru voir. »

     

    Isabelle Baladine Howald

    in Soixante-cinq histoires de livres

    Arléa, 2003

    Recopier la page, pour souhaiter un bel anniversaire à Isabelle Baladine Howald – née le 25 mai1957.

  • Millième page : Pierre Bergounioux / Sophie Chambard, « ARTIS SIMIA NATURA »

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    C’est un fait aussi ancien que la vie, sans doute, que les apparences trompeuses qu’elle adopte pour assurer sa propre conservation. Du jour qu’ont surgi les premiers prédateurs, leurs proies potentielles ont développé une gamme infinie de moyens de défense, d’esquive ou de dissimulation qui laissent confondus les hommes que nous sommes, l’espèce symbolique par excellence. Les formes, les coloris du règne animal, il en est redevable — et nous qu’ils remplissent d’admiration — à la nécessité, sous peine de mort, de paraître autre qu’on est. La phyllie, le phasme se donnent pour une feuille, une brindille. Nous en avons tiré la leçon. C’est la forêt de Birnham en marche vers le château de Macbeth, toutes les espèces de camouflage, depuis que « le feu tue ».

    On ne peut manquer de trouver quelque peu ironique la fantaisie qu’il a pris à Araschiana levana de mimer une carte géographique. Après que nous nous sommes ingéniés à copier la nature, à en relever les contours, la teneur, un petit papillon se mêle d’imiter ce produit hautement élaboré de la culture.

    Artis simia natura.

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    Ce livre d’artiste a été réalisé à 6 exemplaires sur vélin d’Arches, dans la collection Le singulier imprévisible, en octobre 2018.
    Il est ici reproduit avec l’amicale autorisation de Sophie Chambard & de Pierre Bergounioux à l’occasion de la millième page du blog Un nécessaire malentendu, qu’ils en soient mille fois remerciés.

  • Luís de Camões, « Deux sonnets »

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    « Amour, j’avais perdu toute espérance

    lorsque j’ai visité ton temple souverain ;

    pour laisser un témoin de mon naufrage,

    au lieu de vêtements, j’ai déposé ma vie.

     

    Que veux-tu donc de plus ? Tu as détruit

    tous les ravissements que j’ai connus.

    Ne songe pas à me forcer la main :

    je ne sais retourner en un lieu sans issue.

     

    Voici mon espérance et ma vie et mon âme,

    ces doux trophées de mon bonheur passé

    autant que l’a voulu la belle que j’adore.

     

    Tu peux, sur ces trophées, prendre de moi vengeance ;

    et si tu ne t’es pas encore assez vengé,

    contente-toi des larmes que je pleure.

     

    * * *

     

    Être hardi jamais n’a fait tort en amour

    et aux audacieux la Fortune sourit ;

    car toujours la craintive lâcheté

    est un boulet pour une pensée libre.

     

    Ceux qui montent au Firmament sublime

    trouvent là leur étoile qui les guide ;

    car le bonheur enclos dans l’imagination

    n’est que pure illusion, le vent l’emporte.

     

    Il faut ouvrir une voie à la chance ;

    nul ne sera heureux s’il n’agit par lui-même ;

    les débuts seuls sont aidés par le sort.

     

    C’est être brave et non fou que d’oser ;

    celui qui de vous voir aura la chance

    perdra par lâcheté s’il ne bannit sa peur. »

     

    Luís de Camões

    La poésie lyrique – une anthologie

    Traduit du portugais par Maryvonne Boudoy & Anne-Marie Quint

    L’Escampette, 2001

    Pour fêter l’anniversaire de la Révolution des Œillets,

    25 avril 1974

  • Pascal Quignard, « Bacon à Chandos »

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    © : claude chambard

     

    « […] Les mots, ce sont toutes les choses dont vous avez demandé le nom jadis quand rien ne les désignait à votre regard si rien ne venait les nommer. Du temps où vous étiez vous-même alors sans prénom et sans nom. C’est-à-dire quand vous n’étiez même pas le fantôme que votre désespoir vous fait croire que vous êtes devenu. La subjectivité n’est qu’une mélancolie, une aire nue qui n’apparaît si terriblement que quand le flot de la sève et du sang se retire, et non quand le langage déserte. Alors travaillez toutes ces impuissances à dire et forcez, pressez, cultivez toutes les détresses qui en découlent. La langue dont vous disposez a la capacité de votre émotion puisqu’elle en est le lit. Il ne faut pas travailler la langue pour jouir d’elle, ni pour s’abuser, ni pour l’orner, ni pour respecter ses règles, ni pour séduire d’autres hommes, ni même pour héler une femme qui s’est perdue à l’instant de naître et dont la perte vous poursuit d’une façon insaisissable après qu’elle vous a abandonné dans le jour. Il ne faut pas décomposer l’âme dans un esprit d’autopsie alors que ce n’est qu’un souffle emprunté à l’air que la naissance délivre. Il faut adorer, dans la langue acquise, la défaillance d’acquisition qui limite tout sans cesse et qui ne la borne jamais. Il faut lutter avec cette défaillance à dire le monde perdu. […]»

     

    Pascal Quignard

    La Réponse à Lord Chandos

    Galilée, 2020

    http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=3525

     

    Recopier la page, pour souhaiter un bel anniversaire à Pascal Quignard – né le 23 avril 1948.